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méconnaît absolument tout ce qui tient à la vie de l’esprit ; sa morale pratique est au-dessus des forces de l’humanité. Le christianisme seul embrasse tout l’homme ; il ne dissimule aucun des côtés de sa nature, et tire parti de ses misères et de sa faiblesse pour le conduire à sa fin en lui montrant tout le besoin qu’il a d’un secours plus élevé. »

Cette fois, il n’y avait plus qu’à conclure. « Le cercle était fermé,  » tout au moins en ce qui concerne le côté psychologique et moral du problème religieux. Car jusqu’à présent, on l’a sans doute observé, les questions proprement théologiques et historiques n’avaient point préoccupé Maine de Biran. Il semble que, sur ces points, il y ait eu de sa part quelques résistances, que des conversations avec Frayssinous, dans sa dernière maladie, firent d’ailleurs assez vite tomber. Son adhésion à un christianisme encore un peu imprécis fait place peu à peu à un retour clairement consenti au catholicisme de sa première jeunesse. Sa fin, survenue le 20 juillet 1824, — il n’avait que cinquante-sept ans, — fut non seulement chrétienne, mais édifiante. « Il a rempli tous ses devoirs de chrétien, — écrivait dans le Moniteur un de ses amis, probablement Gérando, — reçu tous les sacremens et, par sa piété tendre et ses discours religieux, il a édifié son vénérable pasteur et arraché des larmes aux assistans. » Cette âme inquiète et souvent troublée avait enfin trouvé la paix qu’elle avait si longtemps et si loyalement cherchée.


Une personnalité fort complexe et très riche, qu’une remarquable capacité de pensée abstraite n’a détournée et dispensée ni de l’action, ni de la mondanité même, ni surtout de la vie intérieure, et qui a su se prêter à une grande variété de milieux et d’expériences ; une intelligence alerte et souple, pénétrante et profonde, apte à se renouveler, à progresser, à modifier ses points de vue ; une sensibilité fine, ardente et mobile qui provoquait la sympathie et retenait l’affection ; par-dessus tout cela une âme vibrante, scrupuleuse, éprise de perfection, et douée à un très haut degré de cette résonance intérieure sans laquelle il n’y a que banalité, esprit d’imitation ou psittacisme : tel nous apparaît Maine de Biran dans la réalité aujourd’hui connue de sa vie et de son œuvre. Ce fut un bel exemplaire d’humanité, « un cas humain représenté au vif,  » suivant le mot du vieil