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pouvoir rien par lui-même, en lui montrant, dans chacune de ses infirmités, de ses misères spirituelles et corporelles, autant d’occasions de mérite.


Le 9 décembre :

La philosophie stoïcienne peut apprendre la résignation à tous les maux extérieurs ou à tous les accidens de la vie humaine, qui sont dans l’ordre général du destin ou de la Providence, et par-là nécessaires. Résignation, patience et tranquillité d’âme, c’est là le plus haut degré où l’âme puisse arriver par le seul secours de la philosophie ; mais aimer la souffrance, s’en réjouir comme d’un moyen qui conduit à la plus heureuse fin, s’attacher volontairement à la croix, à l’exemple du Sauveur des hommes : c’est ce que peut seul enseigner et pratiquer le philosophe chrétien.


On n’a, ce me semble, jamais mieux senti, ni plus fortement exprimé ce qui distingue ces deux conceptions du monde et de la vie, l’une essentiellement aristocratique, l’autre essentiellement démocratique, et l’on rendrait assez bien sa pensée si l’on disait qu’aux yeux de Maine de Biran la grande originalité et l’honneur inaliénable du christianisme est d’être venu démocratiser le stoïcisme.

Les progrès de la réflexion et de l’âge, surtout les multiples et croissantes défaillances d’une santé qui n’avait jamais été très robuste, rendaient chaque jour au philosophe ces idées plus présentes et plus vivantes. « Si quelqu’un de vous est dans la tristesse, qu’il prie pour se consoler,  » dit saint Jacques. Oh ! que j’ai besoin de prier ! » soupirait-il un jour (9 juin 1820). Et une autre fois, « considérant les effets psychologiques de la prière,  » il déclarait : « Nul doute que ce ne soit l’exercice le plus propre à modifier l’âme dans son fond, à la soustraire aux influences des choses extérieures, et à tout ce monde de sensations et de passions. En se mettant en la présence de Dieu, de cet infini, de ce parfait idéal, l’âme est pénétrée de sentimens d’une autre nature que ceux qu’elle nourrit ordinairement. » Il avait conçu, dans les dernières années de sa vie, une théorie des « trois vies,  » très probablement inspirée de Pascal, qu’il allait développer dans ses Nouveaux Essais d’Anthropologie, et qui se conciliait admirablement avec ses nouvelles idées religieuses : la vie organique ; la vie active ou moyenne, ou philosophique ; et la vie spirituelle ou mystique : « Le stoïcisme, écrivait-il enfin, nous montre tout ce qu’il peut y avoir de plus élevé dans la vie activé, mais il fait abstraction de la nature animale, et