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causes d’excitations qui n’en dépendent en aucune manière ; en ce qu’elle anéantit une partie de l’homme même, dont l’homme ne peut se détacher. La raison seule est impuissante pour fournir des motifs à la volonté ou des principes d’action ; il faut que ces principes viennent de plus haut.


Voilà le grand mot lâché. L’idéal moral qu’a conçu le stoïcisme, l’homme, réduit à ses propres forces, est incapable, sinon de s’y élever, tout au moins de s’y maintenir. Seul le christianisme a rendu possible pour tous les hommes la pratique régulière de ces hautes vertus dont les stoïciens réservaient l’apanage, d’ailleurs intermittent, à un petit nombre d’élus. Seulement, le christianisme à la volonté humaine surajoute la grâce, secours d’en haut que nous obtient la prière, c’est-à-dire l’aveu sincère de notre faiblesse. L’humilité et la sainteté, voilà ce que le stoïcisme a ignoré, et voilà ce qui constitue, au point de vue moral, l’apport propre, l’invention originale du christianisme. Et la dernière partie du Journal intime n’est, bien souvent, qu’un long parallèle entre le stoïcisme et le christianisme, où l’on rend, certes, pleine justice à la doctrine de Zenon, mais où l’on voit, sous l’influence combinée de l’Imitation, de Pascal et de Fénelon, se préciser, presque jour par jour, dans la pensée et dans la vie intérieure de Maine de Biran, une adhésion de plus en plus fervente et réfléchie aux croyances chrétiennes. « La religion, écrira-t-il le 30 juin 1818, la religion résout seule les problèmes que la philosophie pose. Elle seule nous apprend où est la vérité, la réalité absolue. » — Et le 10 octobre : « En lisant le Traité de la vieillesse de Cicéron, je vois combien la morale philosophique est inférieure à la morale religieuse. » — Le 22 septembre 1819 : « Le christianisme pénètre bien plus avant dans le cœur de l’homme ; il lui révèle bien mieux tout le secret de sa faiblesse que la philosophie tend à lui cacher. » — Le 20 octobre :


Les consolations et les maximes de la philosophie stoïcienne peuvent être bonnes pour les forts, pour ceux qui sont en possession des grandes qualités de l’âme et du caractère, qui ont la conscience de leur dignité. Mais quel secours peut-elle donner aux pauvres d’esprit, aux faibles pécheurs, aux infirmes, à ceux qui se sentent livrés à toutes les faiblesses de l’âme et d’un corps malade, qui ont perdu ou n’ont jamais eu l’estime d’eux-mêmes ? C’est ici que le christianisme triomphe en donnant à l’homme le plus misérable un appui extérieur, qui ne saurait lui manquer quand il s’y fie, en le faisant s’applaudir intérieurement de ce qu’il sent ne