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coup. Sans doute, à plusieurs reprises, il avait paru entrevoir la nécessité, pour qui veut concevoir dans toute son étendue le problème de la vie et celui du bonheur, d’aboutir à des croyances religieuses. M. Mayjonade a découvert et publié le premier un texte daté de 1793, et qui est assez curieux à cet égard :


Sent-on bien, — écrivait alors Maine de Biran, — sent-on bien la consolation qu’il y a à se reposer ainsi sur l’Être tout-puissant ? En vérité, comment ceux qui le nient peuvent-ils ne pas tomber dans le désespoir ? Semblable à un homme qui, soutenu par une force invisible dans l’espace, ne se sentant appuyé sur rien, se verrait à chaque instant prêt à tomber dans l’abîme, celui qui vit, qui pense et ne s’appuie pas sur Dieu, doit frémir sans cesse de se sentir exister.


Seulement, jusqu’à quel point le Dieu dont il est ici question est-il bien le Dieu personnel des religions positives, et n’est-il pas tout simplement le Dieu abstrait de la religion dite « naturelle,  » « l’Etre suprême » devant lequel s’inclinent volontiers le patriarche de Ferney ou le Vicaire savoyard ? En tout cas, même s’il convient de donner à des déclarations comme celle-ci une signification rigoureusement religieuse, ce qu’on peut affirmer, c’est qu’elles sont un peu fugitives, c’est qu’elles n’expriment pas le fond permanent et général de la pensée du philosophe. Il est alors sensualiste, et son idéal moral, nous l’avons vu, c’est Epicure qui le lui fournit.

Quelques années se passent : il a réfléchi, il a vécu ; le bonheur et la paix qu’il cherche ont échappé à ses prises. Il s’est détaché du sensualisme, et, de plus en plus nettement, il voit dans l’effort, dans le vouloir, le fait original qui caractérise l’activité humaine, et dont toute philosophie vraiment digne de ce nom doit tenir essentiellement compte. Justement, il existe dans l’antiquité une doctrine qui a exalté la volonté avec une sorte de sombre ferveur et d’âpre tension : c’est le stoïcisme. Doctrine très haute, très noble, un peu escarpée et difficile, qui a soutenu de beaux caractères, enfanté d’admirables vertus. Ce qui nous frappe en elle, nous autres modernes, c’est l’élévation et l’austérité d’une morale que nous trouvons, d’inspiration et d’accent, toute voisine de la morale chrétienne ; et comme cette morale n’est nullement fondée sur une croyance religieuse, qu’elle est toute rationnelle, on serait tenté de dire toute « laïque,  » nous sommes naturellement induits à des rapprochemens, à des comparaisons qui, plus d’une fois, dans l’histoire