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bonheur ne soit difficile… C’est une plante rare à cultiver, à développer, à préserver du souffle des aquilons.


La cadette, en un mot, ressemblait un peu à son père, qui avait pour elle une secrète préférence. Les lettres qu’il leur écrit à toutes deux sont charmantes, pleines de sollicitude pour leur santé physique et morale, et remplies de ces mille riens qui sont la menue monnaie délicieuse de la vie du cœur. Il veille sur leurs lectures, s’intéresse à leur vie religieuse, leur donne les meilleurs conseils de direction morale. « Je vous porte continuellement dans mon cœur,  » leur écrit-il. Et une autre fois : « Il faut que je finisse par force, mes bien chères enfans, mais je ne vous quitte pas ; votre souvenir me suivra dans tout le trajet que je vais faire de Paris à Saint-Cloud. » Et ce père si tendre est en même temps un directeur d’âme :


J’ai trouvé déjà dans quelques-unes de vos lettres, mes chères petites, — leur écrivait-il un jour, — l’expression de confiance et de résignation à la volonté de Dieu. Je remercie ce Père commun d’avoir mis dans vos âmes ce sentiment religieux qui est la source de toute vertu, de toute force et de tout bonheur, même en ce monde. Conservez-le précieusement, et cherchez à l’entretenir sans cesse en lisant, chaque jour, avec recueillement, un chapitre de l’Imitation de Jésus-Christ, de cet ouvrage admirable, si bien fait pour élever l’âme à Dieu, pour lui faire sentir que c’est là son unique appui, ses moyens de force et de consolation, pour lui faire supporter avec courage les peines, les ennuis et toutes les croix de cette vie passagère. C’est en méditant ce livre divin qu’on ‘apprend à réduire à leur juste prix toutes les choses de ce bas monde…


V

Celui qui tenait à ses filles ce grave et édifiant langage était-il arrivé, sur les hautes questions qu’il agitait, à se satisfaire enfin lui-même ? Vers la même époque, il écrivait dans son Journal intime :


Les objets changent aussi souvent que nous changeons, et, fussent-ils toujours les mêmes, nous cesserions bientôt de trouver en eux ce qui peut remplir notre âme et nous assurer une constante satisfaction. Quel sera donc le point d’appui fixe de notre existence ? Où rattacher la pensée pour qu’elle puisse se retrouver, se fortifier, se complaire ou s’approuver dans quelque chose que ce soit ? La religion donne seule une réponse ; la philosophie ne le peut pas [29 août 1819].


Mais à cette conviction il n’était point parvenu du premier