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considérable, c’est un mondain. Il a beau médire des frivoles obligations de la vie de société, il ne sait pas s’en affranchir, il y cède avec une inlassable complaisance, et il se gourmande de sa faiblesse, mais il ne s’en corrige pas. Il fréquente dans tous les milieux, il a des relations dans tous les mondes. On le voit chez Mme de Staël, chez Mme de Vintimille, Mme d’Aumale ; on le présente à la Duchesse d’Angoulême ; il est aux réceptions de Monsieur, comte d’Artois  ; il dîne chez le prince de Condé, chez l’abbé Moreffet ; il reçoit à sa table Chateaubriand, Bonald, Hyde de Neuville ; il va en soirée chez le duc de Richelieu, chez le baron Pasquier, chez Guizot ; il est de toutes les réceptions officielles. Il va au théâtre. Il est coquet, galant, très soigné dans sa mise, et passe chaque jour de longues heures à sa toilette ; il est très sensible aux complimens sur sa jeunesse et sa bonne mine ; ce grand esprit a un grain de fatuité. « Je m’inquiète, avoue-t-il, de voir que je ne parais plus jeune et agréable par les formes extérieures, et pour vouloir paraître savant et spirituel, je renonce souvent à être sage et heureux. » Comme Joubert, il se plaît infiniment dans la compagnie des femmes, et il suffit de peu de chose pour le mettre en émoi : un gracieux visage, une conversation spirituelle, un tour de sensibilité aimable, mélancolique et tendre, et le voilà rêveur, et quasiment épris. Il collectionne littéralement les amitiés amoureuses : c’est Mme Mollien, c’est Mme de Vintimille ; c’est Mlle Festa de l’Opéra-Bouffe, qu’il ne saurait voir « sans être troublé ; » ce sont Mlles Andrieux et Anna Boudet ; c’est surtout Mlle d’Alpy, une amie de ses filles : « Mlle d’Alpy, écrit-il, communique une aimable activité à tout ce qui l’entoure. J’éprouve pour elle des sentimens particuliers : c’est plus que de l’amitié et moins que de l’amour. Nos relations de famille sont intimement douces. » Et, quelques mois plus tard, — fin de 1816, — il note, il est vrai, dans son Journal, que « ses sens semblent morts au plaisir, et son cœur fermé à l’amour qui a eu tant d’influence sur sa vie jusqu’à quarante-cinq ans. » Mais il ne faudrait pas trop l’en croire sur parole. En 1818, il entre en relations avec une Mme de C… qui lui inspire bien vite les sentimens les plus tendres : ils dissertent ensemble de vive voix et par écrit sur la philosophie, la religion, l’amour pur, à faire envie, — si l’on en juge par certains passages inédits du Journal intime, — à tels personnages du Monde où l’on s’ennuie. Mais la dame était