resté aux solutions morales un peu simplistes dont s’accommodait si aisément, nous l’avons vu, son sensualisme ou son épicurisme de 1794 ou 1795. La vie a fait son œuvre : la vie, et la mort aussi. Père de trois enfans, le philosophe a vu ses responsabilités croître ; il a souffert, il s’est posé, non pas in abstracto, mais dans la réalité vivante et saignante de son expérience intime, le problème de la douleur et le problème de la mort. Et les solutions, sans doute toutes provisoires, qu’il en a acceptées n’ont pas dû le satisfaire, car son inquiétude morale reste inapaisée. Dans les quatre ou cinq pages qui nous restent de son Journal de 1811, on lit ces lignes angoissées :
« Le temps emporte toutes mes opinions et les entraîne dans un flux perpétuel. Je me suis rendu compte de ces variations de points de vue depuis ma première jeunesse. Je pensais trouver, en avançant, quelque chose de fixe, ou quelque point de vue plus élevé, d’où je pusse embrasser la haine entière, redresser les erreurs, concilier les oppositions. Me voilà déjà avancé en âge, et je suis toujours incertain et mobile dans le chemin de la vérité. Y a-t-il un point d’appui, et où est-il ? »
Ce point d’appui, il le cherchera longtemps encore. Pourtant, l’Empire tombé, il semble que tout va conspirer à lui assurer la tranquillité, et même le bonheur. « Etonnantes successions de choses extraordinaires ! — écrit-il le 1er janvier 1815. — Que de miracles opérés en faveur de la France et de l’auguste dynastie de ses rois légitimes ! Quelle heureuse révolution dans la destinée commune des Français, et particulièrement dans le sort des fonctionnaires honnêtes qui servaient sous l’ancien gouvernement ! » Questeur de la Chambre, il jouit d’« une aisance à laquelle son ambition ne s’était jamais élevée ; » il s’est remarié. « Cependant, déclare-t-il, je n’ai jamais été moins heureux. » Ni en lui-même, ni au dehors, il ne trouve le contentement et la paix. Il est vrai que, quelques jours après, le ton change : « J’éprouve, dit-il, un sentiment de bien-être et de quiétude qui me rend l’existence agréable et heureuse par elle-même… Rien ne me guide au-dessus de mon ton naturel ; je ne me commande rien, et je suis content de tout ; je trouve tout bien. Cet état est trop heureux ; il ne durera pas. » En effet, il ne devait pas durer. Le retour de l’ile d’Elbe vint troubler cette très rare quiétude. « Si l’on en croit les journaux, écrit-il le 28 mars, la capitale est aux pieds du monstre dégoûtant qu’elle avait proscrit ; il est entré en triomphateur… Il n’y