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du moral qui fut couronnée ; il engageait avec Cabanis et Tracy de longues discussions philosophiques ; il soumettait à la Société médicale de Bergerac d’abondantes observations sur les Perceptions obscures, sur le système du Dr Gall, sur le Sommeil, les Songes et le Somnambulisme. Il n’entre pas dans mon dessein d’étudier la philosophie de Maine de Biran, et tout au plus voudrais-je indiquer, dans les principaux faits de sa biographie morale, les points d’attache de ses doctrines essentielles. Qu’il nous suffise donc de rappeler que, parti du pur sensualisme, l’auteur du Journal intime s’en est progressivement détaché pour mettre dans un croissant relief les notions relatives aux phénomènes d’effort et de volition. « Je pense, donc je suis,  » avait dit Descartes. « Je sens, donc je suis,  » avait dit Condillac. « Je veux, donc je suis,  » en vint à dire Maine de Biran. Il y avait, en germe, dans cette conception, toute une révolution philosophique, et Biran a eu le mérite d’apercevoir assez nettement la plupart des conséquences de sa découverte. A réfléchir longuement sur « les données immédiates de la conscience,  » il a mérité de prendre place lui aussi parmi les inventeurs en matière philosophique.

Jusqu’à quel point cette doctrine nouvelle est-elle, si je puis dire, sortie de ses méditations sur lui-même et de ses expérience intimes ? C’est ce qu’il est assez difficile de voir, le document essentiel à cet égard nous faisant défaut. Le Journal intime est interrompu, — sauf quelques pages datées de 1811, — de 1795 à 1814, c’est-à-dire pendant la période même où se sont élaborées les idées philosophiques originales de Maine de Biran. Quelle a été sur ces idées mêmes la réfraction des événemens publics et des joies ou des douleurs domestiques ? Nous ne pouvons pas même essayer de le conjecturer. M. de La Valette-Monbrun n’a pas su ou pu dater, — et c’est bien fâcheux, divers manuscrits ou documens inédits trouvés à Grateloup, entre autres une curieuse dissertation sur Epictète et Montaigne, et des annotations mises en marge d’une édition des Pensées de Pascal[1]. On entrevoit pourtant qu’il n’en est pas

  1. Cette édition des Pensées de Pascal étant de 1812, c’est en tout cas postérieurement à cette date que Maine de Biran a lu et annoté le volume. Et peut-être, en rapprochant ces notes sur les Pensées du Journal intime (édition N’avilie, p. 162-165), peut-on conjecturer, sans trop d’invraisemblance, que cette lecture annotée de Pascal a été faite pendant les Cent-Jours, en avril 1815.