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qu’en 1811. Il n’y avait, entre l’Empereur et lui, aucune « affinité élective : » il était modéré, libéral, secrètement royaliste ; surtout, il avait été, sinon idéologue à proprement parler, tout au moins l’ami déclaré des idéologues ; et l’on sait de quelle haine véritable Napoléon poursuivait les idéologues ; enfin, il était pacifiste ; il détestait la guerre, — comme si la guerre, car il y a des guerres saintes, n’était pas quelquefois nécessaire, — et plus d’une fois, dans ses discours officiels, il avait osé glisser un discret éloge de la paix. En 1813, il fit partie de cette « Commission des Cinq » que le Corps législatif chargea de présenter, par la bouche de Laîné, de respectueuses remontrances à l’Empereur. On sait ce qui arriva. Le maître fut si profondément irrité qu’il ajourna sur-le-champ le Corps législatif. Et quelques jours après, au milieu des présentations du 1er janvier, il lança la fameuse algarade : « La France me connaît. Vous connaît-elle ?… Quelques centaines de suffrages vous ont désignés pour venir voter à Paris des lois que moi seul je fais et que vous ne faites pas… Le trône lui-même, qu’est-il ? sinon l’assemblage de quatre morceaux de bois doré, recouverts d’un lambeau de velours. Le trône ?… C’est un homme. C’est moi avec ma volonté, mon génie, ma renommée !… La nation a besoin de moi, et moi je n’ai pas besoin d’elle. » — « Propos absurde et dégoûtant,  » déclare Maine de Biran dans son Journal intime inédit. « C’est cette nation, ajoute-t-il, qui vous prodigue depuis dix ans ses forces et ses richesses pour soutenir votre usurpation, seconder votre fureur de conquête, vous donner tous les moyens de l’asservir, de l’écraser, de la déshonorer, de la rendre odieuse aux yeux de l’Europe. Et vous dites que vous n’avez pas besoin d’elle ? » On croyait, jusqu’à présent, que le rapport de la Commission des Cinq était l’œuvre de Laîné : il semble, d’après les notes retrouvées dans les papiers de Maine de Biran, qu’il a très activement aussi collaboré à ce discours. Cet excellent « fonctionnaire » savait, à l’occasion, faire preuve de courage civique.

Les occupations officielles, si elles avaient un peu raréfié, n’avaient pourtant point tari entièrement sa production philosophique. Il envoyait en 1807, à l’Académie de Berlin, un Mémoire sur l’Aperception immédiate qui obtint un accessit et une médaille d’or ; en 1811, il adressait à l’Académie de Copenhague un autre mémoire sur les Rapports du physique et