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Il fallut attendre une vingtaine d’années, et les consciencieux travaux d’Ernest Naville pour connaître, avec les portions les plus vivantes de son œuvre, la personnalité véritable de Biran. Là où Cousin n’avait vu, ou voulu voir, qu’un philosophe, et le père spirituel de l’école éclectique, on trouva un homme, une âme inquiète, vibrante, mobile et profonde, à la Pascal ; et la réputation du penseur, qui avait un peu souffert des publications trop imparfaites de l’auteur du Vrai, du Beau et du Bien, bien loin de perdre à ces révélations nouvelles, y gagna une sorte de rajeunissement. On fut, suivant le mot célèbre, « tout étonné et ravi,  » et, en dépit de la réaction d’alors contre le « spiritualisme officiel,  » Maine de Biran compta nombre de disciples posthumes, et de secrets, parfois d’illustres admirateurs[1].

Depuis lors, les révélations se sont succédé presque sans interruption. Divers articles d’Ernest Naville, les publications de M. Alexis Bertrand, du chanoine Mayjonade, de M. Tisserand, de M. Delbos, nous ont fait connaître de nouveaux fragmens du Journal intime, des lettres, des œuvres encore inédites. Tout récemment, en un volume un peu long peut-être et trop dispersé, mais plein de renseignemens nouveaux et puisés aux meilleures sources, M. de La Valette-Monbrun nous a donné sur Maine de Biran un copieux « essai de biographie historique et psychologique,  » et, dans un autre ouvrage, à l’aide de documens en partie inédits, il a pu étudier de plus près qu’on ne l’avait fait encore, la curieuse influence qu’a exercée Pascal sur l’auteur du Traité de l’habitude. Il est probable que des manuscrits conservés à Grateloup et à Genève, de ceux aussi qui ont été légués par la famille d’Ernest Naville à l’Institut, il y aurait lieu de tirer sur la philosophie de Maine de Biran et sur l’histoire détaillée de sa pensée bien des précisions ou des lumières nouvelles ; et ce n’est peut-être que lorsque tous ces manuscrits auront été sinon publiés, tout au moins classés,

  1. Sainte-Beuve, dans son article des Lundis (t. XIII, p. 323) sur Maine de Biran, cite une lettre de M. Lachelier, datée du 30 août 1868 : « Les plus sincères défenseurs du spiritualisme en France n’hésitent pas à saluer aujourd’hui en Maine de Biran leur véritable maître après Descartes. » « Entre Maine de Biran et lui, — ajoutait Sainte-Beuve, — il se plaît à désigner, comme faisant la chaîne, cet autre disciple d’un ordre bien élevé, M. Ravaisson. » — Ravaisson a parlé de Maine de Biran avec sympathie, profondeur et admiration, d’abord ici même, dans son article du 1er novembre 1840, puis dans son célèbre Rapport sur la philosophie en France au XIXe siècle.