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à publier les manuscrits laissés par son « maître » « avec tout le soin dont il était capable : » il n’était point exigeant ; il ne revendiquait même pas l’honneur d’attacher son nom à l’édition qu’il proposait d’établir ; il s’offrait simplement « comme proie et correcteur d’épreuves, rôle inoffensif et assez modeste, ajoutait-il, qui me sera cher encore, parce qu’il me permettra de remplir un devoir sacré pour moi à plus d’un titre. » Le trop modeste éditeur mit… dix ans à faire paraître un premier volume d’« Œuvres inédites » et comme ce premier volume contenait les études déjà publiées sur Laromiguière et sur Leibniz, et de Nouvelles considérations sur les rapports du physique et du moral de l’homme, dont le manuscrit avait été préparé pour l’impression par Maine de Biran lui-même, on peut trouver que le zèle du fougueux philosophe ne s’était, à l’épreuve, révélé ni fort empressé, ni très méritoire.

Sept années se passent encore, et, en 1841, paraissent, sous les auspices de Victor Cousin, trois volumes d’Œuvres philosophiques de Maine de Biran : mais la plus grande négligence a présidé à cette publication : désordre, « contaminations,  » mutilation du texte original, contresens, non-sens, on dirait que le copiste s’est complu à multiplier les grossières méprises : on a compté jusqu’à cent cinquante fautes de lecture en trente-cinq pages d’un morceau sur l’Aperception immédiate. Et c’est ainsi Victor Cousin qui est en grande partie responsable de la mauvaise réputation d’écrivain que l’on a faite à Maine de Biran.

Il ne s’en est pas tenu là. Chose plus grave peut-être encore, il a affecté d’ignorer et, en tout cas, il n’a pas publié les plus importans ouvrages du philosophe dont il voulait glorifier la mémoire, l’Essai sur les fondemens de la psychologie, les Rapports des sciences naturelles avec la psychologie, la Nouvelle anthropologie, surtout le Journal intime. C’est que tous ces écrits sont imprégnés de « mysticisme,  » et c’était là, aux yeux du fondateur de l’éclectisme, un tort impardonnable. Ce rationaliste sans tache avait coutume de se signer, dès qu’il apercevait à l’horizon la moindre ombre de « mysticisme : » il ne s’est jamais douté que toute philosophie digne de ce nom, étant une interprétation de l’inconnaissable, aboutit tôt ou tard, et nécessairement, au mysticisme ; et Biran, comme un peu plus tard Pascal, devait pâtir de cette disposition singulière.