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et menace de tant d’ennuis ceux qui ne la feront pas ; elle expose ces derniers, que M. le ministre des Finances a qualifiés de « contribuables récalcitrans, » à tant de vexations et de misères que la déclaration deviendra le fait général : il sera impossible d’y échapper. On arrivera alors à établir ce qu’on a justement appelé le cadastre des fortunes individuelles et alors la voie sera ouverte au socialisme fiscal. Quant à savoir comment et sur quoi sera établie la taxation d’office en cas de non-déclaration, ou comment sera contrôlée la déclaration faite de plein gré, nous aurions besoin, pour le dire, de plus d’espace que nous n’en avons dans une chronique : c’est une étude qui sera faite ici plus tard. La loi, nous le reconnaissons, dit que l’administration ne pourra s’appuyer que sur des élémens « certains, » mais qu’entend-elle par cet adjectif ? A-t-il un sens précis, c’est-à-dire limitatif ? Point du tout. M. le ministre des Finances et les rapporteurs de la loi ont énuméré un certain nombre de faits et d’actes authentiques sur lesquels on peut en effet s’appuyer avec quelque confiance ; mais quand on leur a demandé si c’était tout, ils ont répondu que non et laissé entendre que tous les moyens seraient bons. En veut-on un exemple typique ? La question a été posée de savoir si l’administration pourrait procéder par comparaison et se servir de la déclaration d’un contribuable pour rectifier et compléter celle d’un autre, qu’elle jugerait à vue de nez être dans une situation analogue. La réponse a été affirmative. On établira le bilan de Pierre, d’après celui de Paul. Et c’est là ce qu’on appelle un élément « certain ! »

Nous avons dit que le Sénat avait résisté sur un point : encore ne l’a-t-il fait qu’à demi. Une des dispositions les plus odieuses de la loi était ce que la langue populaire a immédiatement appelé le jugement des morts. Quand une succession s’ouvre, elle est entourée de formalités légales qui mettent à jour les dissimulations, ou seulement quelquefois les erreurs que le contribuable a pu commettre de son vivant. Mais quel recours peut-on avoir contre un mort ? Il est de droit absolu que la mort éteint toutes les actions pénales. Sans doute, mais il y a les vivans, les héritiers : le projet de loi, dans son texte primitif, les mettait à la place du mort, leur imputait la responsabilité de sa fraude ou de son erreur et la leur faisait très lourdement expier. Ils étaient condamnés à payer une amende décuple de la somme dont le fisc avait été frustré. Il serait difficile d’imaginer un plus parfait exemple d’iniquité. Quel que soit le désir du Sénat d’être agréable à la Chambre et quelque habitude qu’il ait de s’incliner devant sa volonté, cette fois il a regimbé. La Chambre s’est obstinée, le Sénat aussi, et chacune