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Berlin. On a eu alors le sentiment très net que la paix de l’Europe était entre ses mains. Certaines circonstances confuses et troubles de ces derniers jours ont amené à se demander s’il en voulait encore vraiment le maintien. Un signe de lui aurait dissipé toutes les ombres ; mais il ne l’a pas encore fait. En l’attendant, ou plutôt sans l’attendre, le gouvernement autrichien a ordonné une mobilisation partielle et le gouvernement serbe une mobilisation totale. Des mesures de précaution ont été prises aussitôt dans d’autres pays, en Russie naturellement, en Roumanie et même en Belgique. Les pays les plus pacifiques s’attendent à tout et s’y préparent. La Russie a déclaré qu’elle ne pouvait pas rester indifférente aux événemens et en effet elle ne le peut pas. Dès lors la Fiance ne le peut pas davantage et il en est de même de l’Angleterre. Dans une communication qu’il a faite à la Chambre des Communes, sir Edward Grey a dit très nettement que la question menaçait de prendre un caractère général. M. de Schoen, dans la démarche qu’il a faite auprès de M. Bienvenu-Martin, n’a-t-il pas, tout en exprimant le désir que la question fût localisée, marqué lui-même son intérêt européen en mettant en opposition les deux grands groupemens qui se font équilibre en Europe ? C’était de sa part une vue très exacte des choses.

On a cru que les événemens allaient se précipiter : un ralentissement s’est pourtant produit dans l’action autrichienne. On l’a expliqué à Vienne par la nécessité de prendre encore quelques dispositions préalables, comme si on ne les avait pas toutes prises avant de lancer à travers le monde la bombe incendiaire. Quoi qu’il en soit, la diplomatie a usé du délai, volontaire ou non, que lui laissait l’Autriche pour causer et offrir ses bons offices. L’Autriche, cette fois, ne s’est pas complètement dérobée. Loin même de se refuser à la conversation, il semble qu’elle l’ait recherchée à Saint-Pétersbourg. On a cru alors qu’il y avait une lueur d’espoir. Ce n’est sans doute pas ce que voulait le gouvernement autrichien, car, fidèle à sa méthode de tout brusquer, il s’est empressé d’adresser à la Serbie une déclaration de guerre. Pourtant il n’a pas encore passé matériellement le Rubicon, c’est-à-dire ici le Danube : l’espoir n’était pas encore complètement dissipé. Mais que faire ? Le gouvernement anglais est certainement celui de tous qui est le mieux en situation de prendre une initiative pacifique : aussi sir Edward Grey a-t-il pensé qu’il y avait là pour lui un devoir. On sait que ce sentiment est chez lui très vif. Il s’est adressé à la France, à l’Allemagne, à l’Italie et a proposé que les ambassadeurs de ces Puissances à Londres se réunissent pour cher-