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interprétée seulement comme l’indication qu’il est désirable que le désaccord entre l’Autriche et la Serbie reste localisé. » Sans doute, c’est désirable ; mais est-ce possible ? Cela l’était aussi longtemps que la discussion a été localisée elle-même sur le terrain diplomatique ; nous craignons que cela ait cessé de l’être à partir du moment où elle en est sortie.

Ce qui était désirable avant tout, au milieu de la surprise où l’Europe a été jetée en sursaut par l’ultimatum autrichien, c’était qu’on eût le temps de réfléchir, de se consulter, de se ressaisir. Ce temps, la Serbie l’a demandé et la Russie, la France et l’Angleterre ont appuyé une demande si juste, si légitime, si raisonnable : très péremptoirement, l’Autriche a refusé. La date et l’heure fixées pour la réponse serbe à l’ultimatum était le 25 juillet à 6 heures : elle a été remise à 5 heures 3/4 entre les mains du ministre austro-hongrois, le baron Giesl. Le gouvernement serbe a poussé, dans l’intérêt de la paix, la résignation à son extrême limite ; il a cédé plus que nous l’aurions cru possible ; il n’a reculé que devant le suicide et le déshonneur ; il s’est incliné devant les conditions si dures, exorbitantes et excessives, qui lui étaient imposées, à la seule exception de celles qui mettaient en cause et supprimaient en fait son indépendance et sa souveraineté. Et même à ces dernières, il n’a pas opposé un refus formel ; il s’est contenté de demander des explications et a invoqué, s’il en était besoin, l’arbitrage de la Cour de La Haye. Le ministre d’Autriche a déclaré cette soumission insuffisante et a aussitôt quitté Belgrade avec tout le personnel de sa légation, en notifiant la rupture définitive des relations diplomatiques.

Ce n’était pas encore et nécessairement la guerre, mais il aurait fallu fermer les yeux à la lumière pour ne pas reconnaître que c’en étaient les funestes prodromes. Il semble que l’Autriche ait voulu couper les ponts derrière elle, de manière à ne plus pouvoir reculer et à mettre l’Europe en face d’un fait accompli. Elle l’a fait comme elle l’avait comploté. Alors les questions venues aux esprits sont si redoutables qu’on ne saurait en exagérer le péril. L’émotion, qui a été partout extrêmement vive, a pris dans les divers pays des formes différentes. A Vienne et à Pest, on a montré un grand enthousiasme guerrier, et nous avons le regret de dire qu’il en a été de même à Berlin ; mais nous savons ce que valent ces manifestations, dans les rues, d’une opinion irresponsable : il ne faut pas en surfaire l’importance. Elle a été toutefois jugée assez grande pour que l’empereur Guillaume ait cru devoir interrompre sa croisière en Norvège et rentrer à la hâte à