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torture quand il remarque, sur l’âme de son enfant, l’empreinte de Fauchon ! Jacques, en outre, adorait une jeune fille, la voulait épouser ; une jeune fille que Fauchon lui dérobe et qui épousera ce prêtre délirant. Là-dessus, Jacques ne haïra-t-il pas le prêtre ? Non : tant il est dominé par l’ascendant formidable de cet homme. Il combinera des maximes d’abnégation presque inhumaines pour conserver à son odieux rival sa déférence. Oui, Savignan donnerait beaucoup plus que sa vie : mais il ne donne point son amour. Qu’il réfute Hakeldama ! Il ne le réfute pas : il manque de loisir ; il passe auprès de Geneviève ses journées. Surtout il n’a plus cette assurance de la pensée qui vous permet de répliquer net au mensonge. Puis, le mensonge, où est-il ? Fauchon, le prêtre marié, ne ment pas : il a, dans Hakeldama, préconisé le mariage des prêtres ; il agit selon sa doctrine. Le menteur, ce n’est pas Fauchon : c’est lui, Savignan, l’écrivain catholique et le défenseur de la morale catholique et l’adultère endurci, c’est lui le menteur. Alors, il endure son châtiment. Un jour, il aura un sursaut valeureux : et il réfutera le pamphlet suborneur. Trop tard ! Il publiera sa thèse victorieuse ; mais on lira ses lettres d’amour, qui le marquent d’hypocrisie. Est-il un hypocrite ? Au moins, l’homme déchiré de saint Paul : il ne fait pas le bien qu’il veut et fait le mal qu’il ne veut pas. Trop tard ! Les événemens vont plus vite que nous, plus vite que, dans l’action résolue, un langoureux amant. L’intrigue suscitée par les noces de Fauchon, l’adultère de Savignan, l’imprudence de Geneviève, la jalousie du mari, la férocité des politiciens aboutit au scandale. Un drame se prépare, avec une rapidité effarante ; de plusieurs côtés, accourent les menaces ; des coïncidences les groupent : et l’on dirait d’un ciel où s’accumulent les préambules de l’orage. Les fatalités naturelles travaillent ; et les hasards sont de connivence avec les volontés.

Ces péripéties dernières, M. Paul Bourget les a menées d’un train de catastrophe. Il les a domptées ; et il les précipite. Calvières s’est emparé des lettres que Geneviève recevait de Savignan. Trop folle Geneviève ! mais, « caresses de langage, tutoiemens passionnés, rappels des bonheurs partagés, toutes ces déraisons des correspondances d’amour ne sont-elles pas comme une autre possession ? ces phrases peuvent nous perdre ; ce frisson même du danger est une ivresse ; les femmes ne s’y trompent pas… » Calvières se vengera : ce n’est pas jalousie, mais fatuité blessée. Les preuves de l’hypocrisie de Savignan, Calvières les porte à Fauchon. Et Fauchon se vengera : la réplique infligée à son Hakeldama, son évangile, par Savignan le