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les novateurs chrétiens et modernistes. Son démon de midi : une tentation d’amour, à laquelle il succombe. Ainsi l’aventure est double, amoureuse et doctrinale. Une « étude de psychologie religieuse, » dit M. Bourget, dans sa préface ; et, l’on pourrait dire, le roman du modernisme. Les prêtres y ont un rôle important ; un prêtre s’y révolte et y mène sa propagande d’anarchie ; de grands débats d’idées y éclatent, touchant les principes et l’objet de la croyance. Un roman d’amour, aussi ; une étude de la passion tendre et voluptueuse. « Le coup de foudre du chemin de Damas : » une phrase du roman réunit de cette façon les deux vocabulaires du cœur et de la pensée ; indice des deux caractères sous lesquels se présente, cette fois, la rêverie de l’auteur.

Il y avait, dans la conception d’un tel livre, un danger. Le roman d’amour ne sera-t-il pas accablé d’idéologie ? et, le problème religieux, une histoire d’amour ne risque-t-elle pas de le profaner ? Elle ne le profane point et elle n’est pas accablée. La maîtrise du romancier sut éviter ces deux inconvéniens. Non par des artifices, mais par la qualité même de la philosophie incluse dans cet ouvrage. La concupiscence de sentir, libido sentiendi, et la concupiscence de savoir, libido sciendi, sont, aux yeux du psychologue, deux velléités pareilles, qui ont de mêmes origines, et qui prennent de mêmes libertés, et qui vont à de semblables désordres. L’hérétique et le débauché sont deux révolutionnaires, dont il est bien aisé de voir les différences et dont le Démon de midi nous montre les analogies profondes.

M. Bourget n’a point abandonné le credo littéraire de ses débuts. Tel nous le trouvons dans les célèbres Essais de psychologie contemporaine, et tel nous le retrouvons au bout de cinquante volumes, gardant la confiance qu’il avait d’abord accordée à l’analyse, comme à une méthode. Critique des arts, des mœurs et des théories sociales, essayiste, romancier, puis dramaturge, il a éprouvé sa méthode ; il l’a conservée. Son œuvre est continue : cette continuité fait l’une des beautés de son œuvre. Et l’on put se demander si, en chemin, nel mezzo del cammin di nostra vita, cette méthode n’allait pas le décevoir. Ne l’a-t-il pas redouté lui-même ? Et sait-on ce que suppose de doutes et de poignantes inquiétudes une œuvre qui, constante et perpétuelle, accompagne toute une existence ?… Nous avons des écrivains, charmans et grands peut-être, qui, de temps à autre, donnent un livre : et c’est un épisode, parmi leurs années ; c’est une prouesse. Ou bien, si l’on veut, ces écrivains dressent, de place en place, au long de leur route quelques statues : et l’une ne dépend aucunement des autres ;