Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/678

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sinon ses idées, du moins son savoir. Seulement, pour cette œuvre, il faut se soumettre à quelques langues suzeraines. Les temps anciens avaient connu des langues sacrées qu’il fallait posséder pour s’initier aux mystères profonds des religions. C’est ce que l’on voit aujourd’hui se reproduire sous une forme nouvelle : pendant que quelques langues seulement permettent aux travailleurs de parcourir le temple de la science, d’innomblables idiomes se voient condamnés à demeurer étrangers aux révélations de la connaissance humaine.

C’est le cas de toutes les langues de l’Orient et de l’Extrême-Orient, si entravées par le lourd appareil de leur structure ; et c’est notamment le cas de l’arabe, langue nationale de l’Egypte. L’arabe ne peut pas s’adapter aux études scientifiques modernes. Il ne s’agit pas ici, à vrai dire, d’une question de caractères et d’écriture, bien qu’ils réservent déjà quelques difficultés, mais plutôt d’un problème de vocabulaire. Un peuple resté pendant trop de siècles en marge du mouvement qui en emportait d’autres vers un progrès toujours plus rapide, a laissé forcément se figer, en même temps que sa pensée, ses moyens de l’exprimer ; et, l’heure du réveil venue, il est trop tard, parce que le vocabulaire ne se crée pas en un jour. En serait-il autrement, que cette langue, même prête à traduire aisément les idées nouvelles, ne serait qu’une machine fonctionnant avide. Où serait, en effet, la littérature scientifique nationale qui permettrait de se mettre au courant ? Où seraient les publications indispensables pour créer un milieu national d’études ? Publier une sorte d’encyclopédie qui servirait de point de départ ? Serait-ce possible ? Serait-ce suffisant ? Et d’ailleurs qui la ferait, et comment pourrait-on tenter un si énorme labeur avec la perspective d’un si faible débouché d’étudians et de savans encore si peu nombreux ? Avoir alors au moins des traductions, à défaut d’un foyer national de science et de travail ? A quoi bon ? Aussitôt traduit, de nos jours, un ouvrage scientifique est démodé. Et puis, pour traduire, il faut comprendre, et trouverait-on, dans un pays tard venu à la culture moderne, sinon assez de gens capables de comprendre la haute science, du moins assez de dévouement désintéressé parmi eux pour se vouer a ce travail ingrat de traducteur ?

De quelque côté que l’on retourne la question, en vérité, il semble qu’un cercle vicieux enserre l’avenir et limite les