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vertu des Capitulations, étaient appelés à trancher nos agens et notre droit. Nos tribunaux consulaires ont fait beaucoup dans tout l’Orient pour notre influence ; mais nulle part autant qu’en Egypte où le système des Capitulations a été d’abord si singulièrement renforcé, puis si curieusement transformé par la création des Tribunaux mixtes. Cette institution, spéciale à l’Egypte, a modifié d’une façon originale le régime des Capitulations en vigueur dans l’Empire ottoman. Comme l’extension successive du privilège des Capitulations aux divers pays d’Europe avait eu pour résultat, en laissant les consuls seuls juges des affaires intéressant leurs nationaux respectifs, de faire naître des conflits incessans entre ces diverses juridictions consulaires, les Puissances s’entendirent, en 1876, en vue de déférer la plupart des affaires, où seraient impliqués des Européens, à des tribunaux internationaux communs, constitués par de véritables magistrats. On créa donc des tribunaux, dénommés mixtes, parce qu’ils sont composés de juges représentant les différens Etats qui les nomment, suivant une proportion déterminée. Mais à cette juridiction mixte il fallait aussi une législation mixte commune. On la créa donc. La France avait, à cette époque, en Egypte, des intérêts de beaucoup supérieurs à ceux de tous les autres peuples. La rédaction des Codes mixtes fut confiée à un Français, qui se borna presque à reproduire notre Code Napoléon, de telle sorte que tous les procès mixtes en Egypte, tous ceux où un intérêt indigène touche à un intérêt européen, sont tranchés par des lois d’inspiration française.

Ainsi, par le droit, rayonnent encore notre influence et notre pensée. Nous sommes le peuple dans la Tangue duquel on lit le droit ; et c’est à notre système de droit que, d’un commun accord, se soumettent les peuples qui se rencontrent au carrefour de races qu’est le delta du Nil. Incomparable source de prestige ! Car, par-là, peut-être, s’affirme et prend corps l’idée confuse aux esprits de l’Orient que nous sommes, parmi les peuples de l’Occident, la nation de justice.

Tout cela contribue à expliquer les origines de notre prééminence morale. On voudrait pouvoir croire, sans outrecuidance, qu’elle est aussi, en somme, l’effet d’une sympathie profonde qui attire les cœurs et les intelligences vers nous plutôt que vers d’autres. On voudrait pouvoir penser que notre rôle et nos interventions en Orient, que notre propre histoire nationale et