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devient seul maître de l’empire, comme Barberousse son aïeul. Il va bientôt faire comprendre au successeur de saint Pierre ses facultés d’évolution. Son ingratitude étonnera le monde. Il sera l’Antéchrist gibelin de son siècle. Mais ce sont les armes françaises, en jetant bas le dragon d’or de son rival, qui l’auront fait empereur sur le plateau de Bouvines.

Jean sans Terre rentrait à Londres en vaincu détesté. Il retrouvait, dans l’archevêque de Cantorbery, le chef d’opposition qu’il avait laissé au départ, successeur de Thomas Becket, aux allures de Mirabeau. Maintenant, la fédération du baronage d’Angleterre est proche, et aussi la démonstration fameuse qui va faire signer la Grande Charte, l’an d’après, dans la prairie gazonnée de Runnymede, au pied d’une colline boisée de la forêt de Windsor. À ce point de vue, la journée de Bouvines peut se croire et se dire, sans paradoxe, la mère de la Constitution anglaise et de tous les Parlemens du globe.

En France, en tout cas, indéniable et positif, elle comporte un résultat supérieur, la formation irréductible du sens national. Le grand réalisateur que fut Philippe-Auguste trouve dans le fait de Bouvines son expression personnelle la plus vraie et la plus haute.

Loin des chevauchées stériles et entraînantes, il a concentré son effort et sa volonté sur un point, la fabrication de l’Etat dont il se trouve le chef. Il y a réussi pleinement. Avec lui, le petit royaume capétien devient la France, la France organisée, terrienne et maritime, la France forte, la France une. A Bouvines, tout cela se décide en puissance. Dans la journée du 27 juillet 1214, sur le plateau de plaine que borde la rivière de la Marque, on peut dire qu’une nation en éveil, dans le tumulte et le fracas des armes, a senti battre initialement son cœur.


GERMAIN LEFEVRE-PONTALIS.