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coup de dague, emporte son impérial cavalier, s’abat et le fait rouler sur le sol. Bernard de Horstmar fait comme Pierre Tristan. Il donne, lui aussi, sa monture. L’Allemand et le Français, rivaux en dévouement, sauvent chacun leur prince. Le coursier de Horstmar emporte le prince guelfe, à côté de qui galope Guillaume des Barres, une poigne vigoureuse crispée sur la nuque impériale. Plus heureux que Richard III, son royaume d’Angleterre en vain offert pour un cheval, Othon, comte de Poitou, roi des Romains et empereur du Saint-Empire d’Allemagne, enfin dégagé de l’étreinte qui l’opprime, quitte le champ de bataille jonché de morts et disparaît à toute allure, entouré de quelques fidèles, vers le bord de l’horizon.

Le dragon d’or et l’aigle au vol éployé gisent à terre, sur les débris du char qui les portait. Autour de l’emblème, les quatre comtes allemands ont résisté jusqu’au bout : ils sont pris en combattant. Les princes alliés ont tiré au large à la suite de l’Empereur.


Le jour s’avance. Vers le Nord-Ouest, cependant, la lutte persiste encore, à la gauche des Français, à la droite des alliés-t Assez tôt, de ce côté, la grosse masse des Anglais a été mise hors de cause et le comte de Salisbury capturé. Mais Renaud de Dammartin reste debout et combattant toujours.

Il connaît maintenant sa fortune. Le brillant comte de Boulogne, le futur comte de Vermandois qui rêvait une couronne, se débat à présent sans espoir. Avec une bande d’infanterie qui manœuvre comme elle peut, il a formé une sorte d’enceinte, ronde et basse, une tour vivante au centre de laquelle il se tient. De temps en temps, les hommes qui en font les pierres s’écartent comme une brèche animée. Renaud et six hommes à cheval passent en trombe, courent une charge, et rentrent épuisés dans leur fort. Intraitable et haletant, le comte de Boulogne frappe et frappe encore. Les grandes antennes de son casque, tailladées et retombantes, le désignent aux regards et aux coups. Enfin son cheval éventré l’écrase captif a terre. Il se rend. On l’entraîne, trophée supérieur à tous, vers le Roi qu’il espérait vaincre et chasser de Paris comme un intrus.

Quand six cents fantassins brabançons, débris du centre impérial, refusant de se rendre et cernés, eurent péri jusqu’au dernier, la plaine fut nette. Les Français, à un contre deux,