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atteint les premières maisons de Bouvines, l’église et le pont. En ce temps, il n’en existait pas d’autre. Il est captivant de la refaire, en pensée, pas à pas.

Les alliés sortent-ils de Mortagne à l’annonce de l’évacuation de Tournai, dans l’intention préétablie d’attaquer de biais la colonne française, dans son mouvement de Tournai sur le pont de Bouvines ? Ou bien cherchaient-ils, en principe, à assaillir Philippe-Auguste dans Tournai même, et s’aperçoivent-ils en cours d’étape seulement de son départ et de son itinéraire ? II est malaisé de prendre parti sur ce point.

Toujours est-il qu’au début de la matinée, ils défilent sur la route, si curieusement droite, qui du bec de Mortagne court au Nord vers Tournai, antique chemin dont le tracé, laissant délibérément l’Escaut au levant, franchit un pli de terrain dont la cense de la Longue-Saule et le bosquet de Taintignies, deux points de repère aujourd’hui situés sur le territoire de Belgique, marquent les saillans les plus en vue.

Or, à cette heure même, une reconnaissance française, détachée, vers le Sud, de la grande colonne qui pousse vers Bouvines, les observait s’avançant. Elle avait pour chef un homme d’action remarquable, dont le rôle, en cette journée, fut prépondérant et glorieux. C’était un ancien Hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem, le frère ou le chevalier Guérin, récemment proposé comme évêque de Senlis et non encore intronisé, qui savait les choses de la guerre et le fit voir sans hésiter. Il fut, sous le roi Louis VIII, chancelier de France, et dort son dernier sommeil à Chaalis.

Cette marche des alliés lui parait de telle importance qu’il galope en hâte vers le Roi pour l’aviser de leur manœuvre. Ils sont en ordonnance de bataille, faisant route aussi rapide qu’ils peuvent. Leur intention de combattre paraît évidente. Que le Roi la prévienne et la devance. Qu’il ordonne une conversion, qu’il les attaque et les surprenne en flanc. S’ils ont le projet, d’un moment à l’autre, d’assaillir eux-mêmes ainsi les Français, leur plan sera déjoué. En tout cas, le Roi, s’il fait vite, peut profiter de l’heure qui passe et les écraser sur place.

A son arrivée, à son rapport, Philippe-Auguste tient conseil. Il n’est encore qu’à une lieue et demie de Tournai. L’avis général est de ne pas tenter l’affaire. D’abord, allègue-t-on, ce jour est jour de dimanche. Mais la véritable raison, c’est que le pont