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Renaud de Dammartin commence son travail d’entremetteur.

De Bar-le-Duc où il s’est réfugié, il part, il circule, il accorde les ambitions et les rancunes de chacun. Il correspond avec Jean sans Terre. Autorisé par lui, il négocie, se porte fort, conclut des pactes. Il est le ferment qui fait lever et qui développe l’irritation du comte de Flandre et de Hainaut. Le futur comte de Ponthieu, son frère, lui est acquis. Il séduit le duc de Limbourg et le duc de Brabant, décide le comte de Hollande, se rend auprès de l’empereur Othon, se fait réciproquement donner par lui des lettres de créance. Quand il débarque en Angleterre, pour s’entendre plus à plain avec John Lackland menacé, il tient déjà dans ses mains les fils serrés de la coalition dont il s’est fait le propagateur et le courtier.

Renaud de Dammartin, en Angleterre, devient une individualité de premier plan. Il passe et repasse la mer. Il amène à Londres le comte de Hollande et le comte palatin du Rhin, frère de l’Empereur. En Aquitaine et en Poitou, par ailleurs, une noblesse capricieuse prépare une restauration des Plantagenets. Pendant que Philippe-Auguste, à Boulogne, apprête son armée navale contre Jean sans Terre dont il escompte la chute, Jean sans Terre, de son côté, résolu à l’humiliation prochaine qui le sauvera, prépare sa flotte et attend. Il sait la valeur dissimulée de l’offensive qu’il va pouvoir prendre. Le coup de théâtre de sa soumission romaine le libère subitement de toute crainte. Philippe-Auguste, en mai 1213, comptait attaquer son rival, avec le baronage anglais pour allié. Maintenant, c’est lui qui va porter le poids d’une coalition savante prête à l’assaillir sur deux fronts.

Tel était le fruit des gestes et des actes de Renaud de Dammartin, comte sans terre, proscrit nomade et tout-puissant. Le brillant mari de la belle Ide avait donné sa mesure. Il est quelquefois imprudent, pour les rois, de pousser à bout de tels hommes. Victorieux sur la route de Paris, ni remords, ni générosité, ni souvenirs, ni rien de ce qui avait pu toucher jadis un transfuge antique, hésitant aux portes de Rome, n’aurait su désormais arrêter, retenir ou émouvoir le Coriolan français.


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Un an plus tard, deux orages dont le tonnerre gronde au loin s’amoncellent en noirceur inquiétante contre le royaume