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passé sa jeunesse à la cour de France où la reine Isabelle, sa parente, et Philippe-Auguste, du même âge que lui, le traitaient en camarade. Avec la main de la belle Ide, dame du comté de Boulogne et cousine germaine de la Reine, conquise et épousée après mainte romanesque aventure, il avait acquis la possession de ce superbe territoire, vassal direct de Paris comme la Flandre, et qui commandait les enviables passages d’Angleterre. Pendant les guerres de Philippe-Auguste avec le Cœur de Lion, exaspéré d’une offense sanglante reçue à la cour française et dont il n’a pu obtenir justice, on l’a vu prendre et tenir quelque temps le parti du prince anglais. Mais il sait la façon de rentrer en grâce. Quand Philippe-Auguste a joué son jeu décisif contre Jean sans Terre, le comte de Boulogne a saisi l’occasion de fortune qui passait. Il s’est rangé sans ambage aux côtés du roi de France et a suivi toute sa chance.

Au siège de Château-Gaillard, avec Guillaume des Barres qu’il devait rencontrer comme adversaire à Bouvines, il avait sauvé le camp français, la nuit de la grande attaque des routiers anglais contre la presqu’île de Bernières et le pont de bois du Petit Andely. Toute la conquête du duché normand s’est faite avec lui. Il chevauche jusqu’en Touraine. Le voici capitaine de Chinon conquis sur les Plantagenets. Deux comtés de Normandie, celui de Mortain, celui d’Aumale deviennent sa récompense. En même temps, il fiance sa fille à un fils de Philippe-Auguste, né du mariage instable avec Agnès de Méranie., Son frère, Simon de Dammartin, épouse l’héritière du comté de Ponthieu, fille d’une sœur du Roi. De toutes parts, sa maison s’étaye d’alliances souveraines. Le Ponthieu joint la terre d’Aumale au Boulonnais. Mortain compose une importante valeur d’échange. Renaud de Dammartin devient feudataire supérieur et grand personnage féodal.

Il tient à Boulogne une cour qui marque. Elle a des trouvères et des conteurs. Le comte Renaud aime l’histoire. Il fait traduire en langue usuelle, sur le texte conservé à Saint-Denis, les chroniques de Turpin, riches en légendes carolingiennes. Le comte de Boulogne a la parole facile. C’est un cavalier vigoureux, les épaules larges et la taille encore mince. Sous le heaume orné d’un cimier, dont il inventa, paraît-il, la superstructure, sous les deux fanons de baleine qui se profilent au-dessus de son casque, pareils à deux antennes guerrières et