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moitié d’empereur. Mais l’ancien comte de Poitou, qui avait battu monnaie en Aquitaine, gardait Jean sans Terre pour oncle et demeurait le souverain du parti de Cologne, d’une Allemagne qui s’étendait d’Aix-la-Chapelle à ses domaines de Brunswick. Se joindre, avec sa valeur impériale, aux associés anglo-flamands, amener au roi d’Angleterre et à Ferrand, comte de Flandre et de Hainaut, les princes vassaux de l’empire encore fidèles à sa fortune, le duc de Lorraine, le duc de Brabant, le comte de Namur, le duc de Limbourg, le comte de Hollande et celui de Luxembourg, essayer d’écraser ensemble le Capétien, ressaisir sur la route de Paris la chance qui venait de l’abandonner à Francfort, tel était le plan que devait lui suggérer le caractère aventuré de sa position, tels étaient les desseins qu’il était logique et naturel de lui voir adopter et poursuivre d’un seul trait.


Pourtant le roi d’Angleterre, le comte de Flandre et l’empereur Othon n’auraient peut-être pas noué l’alliance offensive qui lança leurs triples forces sur le champ de bataille de Bouvines, si un homme ne s’était trouvé là, dont les facultés et l’ardeur se dépensèrent sans mesure pour les déterminer à unir leurs armes, pour les décider à coaliser leurs appétits communs contre la proie française, où sa convoitise, à lui, se réservait bien entendu de mordre une bonne part.

Ce personnage était Renaud, comte de Dammartin dans l’Ile-de-France, mari de la comtesse de Boulogne, Renaud de Dammartin, une des plus audacieuses figures d’un siècle fertile en témérités, une de ces énergies dont l’espèce enfante, au hasard des circonstances, les fondateurs de dynastie ou les coureurs d’aventures. Avec de la chance et des ressources, ils deviennent ducs de Milan. Quand la fortune les délaisse, ils finissent sous la hache ou dans la cage de pierre d’une forteresse.

Renaud de Dammartin fut de ceux-là. Son existence impressionne. Il rêva, pour lui, des choses suprêmes. Il se vit peut-être posant les bases d’un royaume. Il mourut prisonnier dans un château de la Basse-Seine, peut-être la tête fracassée contre les murs qui l’enfermaient depuis douze ans.

Il appartenait à cette race singulière des comtes de Dammartin, qui se disaient égaux des comtes de Paris, et tenir leur fief en franc alleu, avec hommage de pure déférence au Roi. Il avait