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de l’épée, » les plus belles victoires « sont surtout des berceaux, d’autant plus sacrés qu’ils enfantent plus d’avenir. »


Le 27 juillet 1214, auprès de Bouvines, entre Lille et Tournai, sur le plateau de terre rouge dont la petite rivière de la Marque découpe à l’Ouest une des faces, une partie se disputa, où se jouait la destinée de notre pays, au moins telle que les faits et les temps l’ont développée d’âge en âge. Les forces coalisées pour assaillir la France en voie de formation décisive, accablantes et résolues, menacent son existence propre. Pour l’Etat capétien, le péril est absolu. La défaite le ramène au néant. Pour ses adversaires, l’enjeu n’est pas comparable. De ce côté, des personnages aventurent leur couronne ou leur tête. Cependant le sort des nations qu’ils représentent n’est pas directement en cause. Au contraire, la mise de la France se trouve la plus forte, et démesurée : il s’agit, pour elle, non pas de gain possible ou de perte limitée, mais bien de sa vie même, ou de ce qui équivaut à la vie.

A Bouvines, certes, les risques n’étaient pas égaux.

L’empereur germanique, rival d’un compétiteur intérieur dont montait brillamment l’étoile, n’exposait dans l’entreprise, au point de vue de l’Allemagne, que son titre personnel et sa vocation aléatoire. L’Anglais n’y hasardait que le domaine continental des Plantagenets, dont un parti de plus en plus déterminé, dans l’île britannique, souhaitait au fond, pour d’ambitieuses raisons politiques, la coupure allégeante et le détachement final. Le Flamand, particulièrement, vassal osant attaquer son suzerain, savait qu’il pouvait perdre et son fief, et sa liberté, et plus encore peut-être : la terre de Flandre, néanmoins, demeurait hors de querelle. Les princes des Pays-Bas et du Rhin ne plaçaient sur leur chance que des troupes et de l’argent. Philippe-Auguste, lui, seul des combattans, se voyait contraint à défendre, non seulement sa qualité individuelle de roi, mais encore la substance nationale du pays dont il commandait l’armée.

Ainsi, sur le champ de bataille de 1214, se conditionnait la fortune. L’honneur, ce jour-là, d’avoir conquis la victoire et forcé le triomphe ne s’en affirme que plus net et plus éclatant., Essayons d’aborder l’esquisse générale de la journée de Bouvines. Sans la traiter en abstraction, entreprenons de faire saisir la réalité de ses causes, et d’évoquer ses acteurs, passionnés