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montrer un instant et disparaître aussitôt après. On arrive à la fin du premier acte, on part avant la fin du second, on perd de la musique ce qu’elle a de plus saillant, c’est-à-dire l’ouverture, l’introduction et le finale. Voilà comment nous avons entendu Le Pirate hier. Le poème est tiré d’un drame de Shakspeare.la musique est de Bellini. Ce musicien marche sur les traces de Rossini, qu’il égale presque par le soin qu’il met à la composition de l’orchestre ; mais sa manière est plus pathétique. Je m’étonne qu’il n’ait pas encore été joué en France. Les roulades des chanteurs se font à pleine voix ; l’effet s’augmente de l’ampleur des sons, peut-être outrés par instans ; mais l’impression produite est toujours grande. Le temps est passé des vocalises apprises à l’école des Catalini et des Sonntag. Rubini, la perfection, avait paru froid à Paris, dans le temps où il n’était qu’un rossignol. Depuis il s’est beaucoup adonné au dramatique, son organe magnifique s’y prête à merveille ; mais la Grisi surpasse tout en ce genre.

M. Boulanger, lord Normanby, un petit M. Bartholomé sont venus dans la loge. Le prince Napoléon et la princesse Charlotte se sont amusés à faire croire à ce dernier qu’il figurait dans un roman composé par une dame de leur connaissance et se sont beaucoup divertis de l’effet produit sur le jeune fat.


14 novembre.

Le prince Napoléon habite dans le palais de son père. Le rez-de-chaussée lui appartient et communique par un escalier avec l’appartement de la princesse Charlotte, à l’entresol. Tout cela est arrangé à merveille : la chambre à coucher est un joli nid ; le lit commun, tendu en mousseline blanche, doublé de taffetas bleu de ciel, un véritable bijou.

Un tombeau étrusque remplit le milieu de la bibliothèque et lui donne l’aspect d’un musée. Les insignes des ordres de chevalerie que le Prince aurait le droit de porter, dont les souverains d’Europe s’étaient empressés de lui envoyer les brevets dès sa naissance, remplissent une vitrine. Une autre renferme quelques reliques de l’Empereur. C’est la lampe d’argent qui lui servait la nuit, à Sainte-Hélène, et qui a vu toutes ses souffrances et toutes ses insomnies : Madame Mère en a fait cadeau à son petit-fils, en y joignant une lettre écrite de la main de son immortel enfant. Une aigle, débris de la vaisselle impériale,