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l’une avec l’autre en fixant notre départ au 15 novembre.

À mon grand regret, elle ne m’a priée aujourd’hui que de l’accompagner à pied chez la reine Julie, sans m’inviter à y entrer avec elle. Je l’ai patiemment attendue. À son retour, elle s’est plainte de la disposition aux caquets du roi Jérôme ; il veut tout savoir, furette partout, interprète et commente même les choses qu’il ne sait pas.

La promenade des Cascine valait bien le tour que nous y avons fait ensuite, la Reine, le prince Napoléon et moi. Les plus brillans équipages se croisaient. Nous avons remarqué celui où le prince Borghèse état ait son embonpoint, seul avec son épagneul. Sa fortune est une des plus considérables de l’Italie. Il fut, à la fin du dernier siècle, partisan des idées françaises et se trouva de bonne heure rapproché de Bonaparte général et de Bonaparte consul. En 1803, il épousa la princesse Pauline, veuve du général Leclerc. Les grades qu’il reçut de l’Empereur, le titre de général de division, le duché de Guastalla, ses fonctions de gouverneur général des provinces transalpines ne le dédommagèrent que faiblement de ses infortunes conjugales. Aussi cessa-t-il en 1815 toute relation avec la famille impériale. Il était rentré à la même époque en possession des objets d’art vendus par lui à la France et payés huit millions, au moyen de biens nationaux piémontais.

Cette rencontre a péniblement impressionné la Reine, comme lui rappelant trop de choses. Pauline avait été sa compagne chez Mme Campan ; elles s’étaient retrouvées à Rome, où la Reine habita plusieurs années la villa de la princesse, appelée villa Paolina. Peut-être aussi les larmes qui ont paru dans ses yeux étaient-elles causées par le souci du présent autant que par les regrets du passé, car elle s’est mise aussitôt à donner des conseils au Prince sur la manière de placer la dot de sa femme.

Le moment est si précaire, tous les pouvoirs sont tellement ébranlés en Europe que rien n’est plus difficile qu’un bon placement. Cependant la Reine ni le Roi n’ont plus rien à perdre ; chacun d’eux n’a que 100 000 livres de rente, et il faut qu’ils prélèvent là-dessus de quoi assurer l’existence de leurs enfans. On les croit généralement plus riches qu’ils ne le sont, témoin cette dame qui venait hier offrir une parure d’émeraudes a la Reine. Elle donnait pour raison que, dans son portrait par Gérard, la Reine porte une couronne d’émeraudes et que cette