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habiter le palais de M. Bacciochi ; nous dînerons seulement chez lui.

Elle me fait lire les gazettes, puis les visiteurs affluent. Crescentini, son premier maître de musique, est celui qu’elle reçoit avec le plus déplaisir et qui manifeste de son côté la plus grande joie de la revoir. Il s’assied au piano et la fait chanter. La méthode de cet excellent musicien survit encore. Il retourne à Naples, où il est fixé comme professeur à l’Académie.

La taille de Crescentini est élevée, sa physionomie est douce et bonne, mais son embonpoint flasque et sa complexion lourde devaient être de grands obstacles à l’effet qu’il produisait sur la scène. L’Empereur l’avait entendu pour la première fois à Vienne, d’où il l’avait amené à Paris, aux appointemens de cinquante mille francs par an. Un soir de spectacle à la Cour, il lui donna la croix de la Couronne de Fer, pour le récompenser de la manière dont il avait chanté l’air : « Ombra adorata, t’aspetto ; » mais cette distinction inattendue fit tant de mécontens, surtout dans l’armée, qu’il devint impossible de donner ensuite la croix de la Légion d’honneur à Talma, ainsi que l’Empereur l’aurait désiré.

La marquise Pepoli vient avec ses charmans enfans, Joachim et Caroline. Elle s’amuse à me coiffer à la chauve-souris. C’est une coiffure florentine qui sied très bien, dit-elle, aux jolis visages. On partage les cheveux par une seule raie droite, à partir du milieu du front jusqu’au milieu du col, on réunit les cheveux de chaque côté près de l’oreille, pour en faire deux nattes que l’on tourne en rond de chaque côté ; on les noue enfin derrière avec un ruban.

La Reine veut sortir en voiture déplace pour me faire voir la jolie promenade publique plantée par les Français, puis la galerie des tableaux que nous devons, comme toujours, parcourir un peu vite, mais il n’est pas moins gracieux à elle d’avoir songé à me la montrer. Sa raison, pour abréger la promenade et pour revenir s’habiller de bonne heure, est qu’elle veut être chez son beau-frère avant les autres invités. A peine arrivée, elle conspire avec lui à voix basse, tandis que M. Cattaneo, parent de M. Bacciochi et son aide de camp autrefois, me fait les honneurs du palais.

On y donne des bals de neuf cents personnes : les souverains n’ont rien de mieux. Une grande galerie, tendue de jaune