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avec des colonnettes dorées et des rideaux de mousseline à jour brodés, jurent à côté de petites fenêtres de plomb misérables et dégradées. Le pavé en mastic ressemble à du granit ; les murs sont couverts de panneaux en faïence, encadrés de moulures de bois recouvertes d’ornemens plâtrés et peinturlurés. Le plafond est semblable aux moulures. Comme meubles, de vieux fauteuils en velours cramoisi, dont les bois sont aussi dorés, et avec cela, des flambeaux de cuisine portant des bougies et une paire de mouchettes sales !

La Reine, voyant la princesse Caroline souffrante, hésite à décamper d’ici, et cherche à se réconcilier avec le joli salon dont nous disposons au rez-de-chaussée pour jouer du piano et prendre nos repas. Mais une lettre de la reine de Naples qu’on lui apporte la décide enfin à chercher autre chose. Je suis chargée de préparer la princesse et de lui expliquer comment elle-même, sans le savoir, est la cause du déménagement.

La reine de Naples écrit en effet pour s’excuser de ne pas venir en personne chercher sa nièce ; mais elle pense que le voyage peut se faire sous la conduite d’une simple femme de chambre ; elle ajoute que la traversée est courte et que le capitaine du bateau à vapeur est un homme sûr, dont elle répond. La reine Hortense juge au contraire que la princesse Caroline est trop jeune, trop timide, pour pouvoir voyager ainsi, et que cette manière bourgeoise n’est pas digne des Hohenzollern. Elle insiste donc auprès de sa belle-sœur pour qu’une dame soit envoyée au-devant de la princesse. Nous attendrons ici l’arrivée de cette dame. Dès lors, notre séjour sera de trois jours au moins, ce qui vaut bien la peine de déménager.

La soirée se passe en gondoles, au clair de la lune : un tour dans la rade, puis nous prenons terre à la Piazzetta. La Reine consent à s’asseoir sous les arcades, mais très à l’écart, pour ne pas être reconnue. Nous longeons ensuite la galerie des cafés. Chaque nation, chaque société, chaque coterie a le sien. Celui des Grecs attire l’attention par la variété et la richesse des costumes. Que font-ils à Venise ? Quels sont leurs moyens d’existence ? On ne parle plus guère d’eux, ni de leurs affaires. Ce n’est pas qu’ils aient cessé d’être malheureux. Mais les nations ont leur égoïsme, comme les individus.

La Reine s’arrête au retour chez un marchand d’antiquités, autrefois officier dans la garde du prince Eugène, et auquel