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ménagé elle-même le site agreste avec beaucoup de goût. Ces beaux lieux étaient déserts dimanche, quand j’y suis, arrivée sous la conduite de Georges, le vieux domestique de mes parens. Selon les habitudes de la Cour, qui se réunit tous les dimanches chez le prince régnant, à Sigmaringen, la maison s’était vidée le matin de tous ses hôtes, à l’exception de Fanny, restée exprès pour m’attendre, et de M. de Womar, le vieux chambellan de la princesse.

M. de Womar a les manières aimables et la courtoisie de l’ancienne société. Je lui sais gré de la bonne grâce avec laquelle il m’a conté l’histoire, nouvelle pour moi, mais bien vieille pour lui, de l’amitié qui lie l’une à l’autre ma Reine et sa princesse.

Celle-ci est née Amélie de Salm-Kyrbourg ; avec ses deux sœurs, devenues ensuite duchesse de la Trémoille et princesse de Croy, elle habitait Paris au temps de sa jeunesse. On les comparait toutes trois à une gerbe de roses, dont la princesse Amélie, — le mot est de Louis XVIII, — était le bouton. Les Beauharnais entretenaient avec elle et avec son frère, le prince Frédéric, des relations étroites, qui devinrent plus intimes encore sous la Révolution. En 1792, Eugène et Hortense enfans furent confiés par Joséphine au prince Frédéric, qui essaya de passer avec eux en Angleterre. La tentative se heurta au veto du général de Beauharnais, qui fit ramener Hortense à Paris et prit Eugène avec lui à l’armée du Rhin. L’année suivante, les deux enfans se retrouvèrent à Croissy, où leur mère s’était réfugiée. Restés sans aucun appui pendant la Terreur, ils trouvaient chaque jour un asile chez la princesse, qui les faisait amener au bel hôtel de Salm, rue de Bellechasse (aujourd’hui le palais de la Légion d’honneur) ; elle y était gardée à vue par des gendarmes. Cependant, le prince Frédéric, puis le général de Beauharnais montaient l’un après l’autre sur l’échafaud. Sans la protection de Tallien, le même sort aurait pu être réservé à Joséphine. Elargie aussitôt après le 9 thermidor, et devenue l’année suivante Mme Bonaparte, elle n’oublia jamais qu’elle avait été suppléée par la princesse Amélie dans ses devoirs de mère. Cette fidélité de souvenir, jointe aux calculs de la politique impériale, firent qu’en 1808 Charles-Antoine, prince héréditaire de Hohenzollern-Sigmaringen, épousa Antoinette Murat, nièce du roi de Naples, et se trouva ainsi attiré