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l’indifférence, mieux encore, dans l’optimisme résolu et obstiné. On prétend, — mais c’est là une médisance, sans doute, — que l’on fait ce qu’il faut pour que les grands organes d’information n’insistent pas sur des incidens à peu près inévitables. Quand aurons-nous donc, à cet égard, la belle mentalité anglaise ? Il n’est, là-bas, si mince accident arrivé à la marine de Sa Majesté qui n’ait sa vive répercussion dans la Presse et au Parlement. Mais les marins anglais ne s’en peuvent offenser : derrière cette inquiétude, ils sentent si bien la bienveillance émue, l’affection passionnée de la nation tout entière !


Faire exécuter, une année sur deux, les manœuvres navales dans l’Océan et dans la Manche, ce ne serait déjà pas un si mauvais moyen d’intéresser la nation à sa marine. Que la Méditerranée l’emporte dans les préoccupations que les politiques accordent à notre action sur la mer, nul ne va là contre et l’on sent bien que les raisons sont fortes de cette préférence. Mais la Méditerranée, c’est bien loin, du moins bien loin de Paris, et cette longue bande de France que baignent les deux autres mers est bien plus étendue, plus peuplée, plus puissante, économiquement, plus puissante aussi comme facteur de l’opinion que celle dont la grande bleue caresse les bords heureux.

Or, cette longue bande de notre terre, avec ses beaux et grands ports, Dunkerque, Calais et Boulogne, puis le Havre, puis Cherbourg, enfin Brest, Nantes (ou Saint-Nazaire), la Rochelle et Bordeaux (ou Royan), ne voient jamais l’armée navale française, « l’escadre de la Méditerranée, » comme on l’appelle toujours[1]. De temps en temps, trois vieux croiseurs cuirassés (quand leur amiral réussit à les tenir dans sa main, en dépit de la longueur des réparations au port de Brest), une douzaine de torpilleurs d’escadre et quelques sous-marins, voilà tout ce qu’on aperçoit et ce n’est point assez pour attirer l’attention, retenir le regard, raviver l’intérêt…

« Argument frivole et qui nous ramènerait droit à la tournée des casinos, » diront quelques « stratégistes » qui cachent volontiers sous des considérations sévèrement militaires des tendresses secrètes pour les flots démens. Point si frivole I Mais il y en a

  1. Je me hâte de dire que le Ministre vient de décider qu’une des deux escadres de Fermée navale ferait, cette année-ci, une tournée de six semaines environ, en août et septembre, sur les côtes de l’Océan et de la Manche.