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de cuirassement, pendant qu’elles essaieraient de se rapprocher à portée de torpille de bâtimens armés de 8 à 10 pièces de gros calibre et de 10 à 12 canons moyens. Il n’en serait pas de même, par définition, du bélier-torpilleur rapide auquel je faisais allusion tout à l’heure et dont je prévois l’apparition prochaine, la carapace de ce bâtiment, fuyante de formes et solidement blindée, devant le préserver des coups funestes.

Mais si l’on refuse à nos flottilles la possibilité pratique de s’approcher d’une division composée du Vonder Tann, du Moltke, du Gœben et du Seydlitz (sans parler des 8 éclaireurs de 5000 tonnes qui les accompagnent), convient-il d’admettre, comme il semble qu’on le fasse en ce moment dans notre armée navale, qu’elles puissent se lancer à l’attaque d’une escadre de 6 à 8 cuirassés bien rangés, les canons bien battans et avant que le feu de l’adversaire ait pu les désorganiser ? En d’autres termes, - une « charge à fond » de torpilleurs peut-elle avoir une suffisante efficacité au début de l’engagement, ou bien faut-il attendre la fin du combat, la dernière phase, du moins, celle où il ne sera plus question pour les flottilles que d’achever le vaincu, ou de couvrir sa retraite en se sacrifiant ?

Question délicate, d’autant que l’on ne peut guère invoquer, soit d’un côté, soit de l’autre, le précédent, l’unique précédent de Tsushima. Ce jour-là, en effet, la première attaque des torpilleurs de Togo, exécutée alors que la ligne russe avait encore quelque solidité, bien que fort entamée déjà, cette attaque, dis-je, eut peu de succès. Le soir, au contraire, et la nuit qui suivit, les torpilleurs japonais eurent beau jeu contre des bâtimens désunis, désemparés et qui n’attendaient que le coup de grâce. Oui, mais le temps et la mer étaient, l’après-midi du 27 mai 1905, peu favorables aux petites unités ; et l’on ajoute — est-ce bien vrai ? — que les torpilles japonaises lancées, dans ce cas, relativement loin, eurent des trajectoires fort défectueuses.

La vérité c’est, il me semble, que, dans certains cas particuliers, on peut, on doit, même lancer les flottilles à l’assaut des citadelles flottantes et mobiles — fort mobiles même, ce qui complique l’affaire — que sont les cuirassés, avant que ces citadelles aient été démantelées, désarmées, paralysées par la trombe des projectiles. C’est, par exemple, lorsque l’on jugera nécessaire, ou seulement avantageux, d’empêcher la formation de la ligne ennemie, de gêner son déploiement, de diviser ses