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vaincu — s’il y a nettement un vaincu[1] — ne tentera plus le sort des armes ? Qui osera prédire qu’il n’y aura pas d’opérations à grand rayon, de longs blocus, de fréquentes allées et venues de l’arsenal-base à la côte ennemie ou au large ?


Quelques observations, maintenant, de l’ordre purement tactique. Les croiseurs, d’abord. On en vit un que la judicieuse conviction de l’intérêt qu’il y a à maintenir le contact avec la force navale adverse conduisit à se tenir obstinément dans la limite de la portée des grosses pièces des cuirassés. L’indiscrétion tenace de ce trop zélé surveillant provoqua un assez habile mouvement tournant des croiseurs ennemis. Pris entre cette division légère et le gros des cuirassés, le croiseur en question se déclara loyalement hors de combat. Il fut neutralisé, mais seulement quelques heures. Un peu avant, quatre croiseurs s’étant longtemps canonnés deux à deux, leurs chefs respectifs avaient demandé à l’arbitre général des manœuvres la neutralisation de deux de ces bâtimens. Le cas ne parut pas assez clair au commandant en chef, qui se borna à rappeler que les croiseurs doivent s’efforcer de tenir le contact, mais, autant que possible, sans combattre, même avec leurs similaires. Ainsi posé, le principe semble avoir une rigueur trop absolue. N’oublions jamais qu’à la guerre il n’y a pas de « principe » qui puisse prévaloir contre l’appréciation exacte d’un cas d’espèce. Il est bien clair, par exemple, que si l’armée navale allemande marchait contre la nôtre, ses quatre beaux croiseurs « Dreadnought, » de vrais cuirassés rapides, ne laisseraient passer aucune occasion de détruire nos six croiseurs cuirassés de type ancien[2], car, ce résultat acquis, notre gros serait toujours et complètement découvert.

Il ne faut pas compter, en effet, sur les torpilleurs d’escadre (ou contre-torpilleurs) pour tenir à distance suffisante des éclaireurs aussi puissans. Quel que fût leur nombre, — sauf cas de surprise, la nuit, — ces petites unités seraient écrasées, faute

  1. Il n’y en eut pas, — nettement, — à la bataille livrée dans le Petchili, le 10 août 1904, entre Russes et Japonais.
  2. Les derniers de ces bâtimens sont en service depuis trois ou quatre ans à peine, mais ils étaient déjà démodés, « déclassés » si l’on veut, dès leur lancement, par les croiseurs de combat « Dreadnought. » Une fois de plus, notre courte vue ne nous avait pas permis, non pas certes d’être en avance d’un type, mais seulement de n’être pas en retard sur nos rivaux.