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chaland revenu vide, peut-être encore la main-d’œuvre, car, pour toutes ces opérations, il faut des bras, des bras de journaliers, et il en faut beaucoup…

D’ailleurs tous nos ports, qui plus, qui moins, souffrent de l’insuffisance de cet indispensable outillage flottant dont je viens d’énumérer les principales catégories. Les demandes réitérées que font, depuis tant d’années, les autorités locales restent sans effet ou ne reçoivent que des satisfactions partielles, inopérantes, du reste, parce que les besoins augmentent toujours, puisque le nombre des navires armés s’accroît et encore plus leur déplacement, leur puissance, leur complication, enfin l’importance de leurs consommations en matières de toute espèce. Mais voilà ! Comment persuader les commissions du budget, certains bureaux du ministère, — quelquefois le cabinet du ministre, côté civil, — les stratégistes en chambre et même bon nombre d’officiers qui ont perdu le contact des réalités navales ou qui réfléchissent peu sur ce que sera la guerre ; comment les persuader qu’à tel moment donné, le sort des opérations peut dépendre de deux ou trois douzaines de chalands et de bugalets ? Au fond de la mentalité de ces contempteurs du modeste « outillage flottant des ports et arsenaux, » on retrouve ce concept par trop simpliste et arbitraire, par conséquent dangereux, de la physionomie que prendra un grand conflit maritime ‘. « tout sera réglé, — et tout de suite, — dans une seule bataille navale[1]… » Et après cette unique bataille, évidemment, la rapidité du ravitaillement importera assez peu.

Mais que savez-vous donc d’absolument certain sur de telles questions ? Etes-vous assurés que l’adversaire se prêtera si bénévolement au règlement immédiat et sans appel d’une si importante affaire ? Il faut pourtant bien être deux, au moins, pour se battre, et comme vous ne disposez pas de la supériorité de la vitesse, comment ferez-vous pour amener à la rencontre tactique décisive une escadre qui tient essentiellement à bénéficier des avantages que lui confèrent ses facultés de l’ordre stratégique ?… Et à supposer qu’il y ait bataille, tout de suite, qui peut répondre qu’il n’y en aura pas une seconde et que le

  1. Cette assertion se retrouve d’ailleurs. — et la plus dangereuse encore dans sa témérité, — dans la bouche de certains officiers de l’armée qui apprécient le caractère de la grande lutte future sur le continent.