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comme des femmes ! » s’écrie-t-il hors de lui. On le calme, on le convainc que la résistance ne servirait maintenant qu’à provoquer une effusion inutile de sang, suivie peut-être de grands malheurs ; qu’il n’y a qu’à retarder l’envahissement en parlementant, afin de donner à l’Impératrice le temps de s’éloigner.


XXII

Enveloppée d’un manteau de voyage, le visage caché par un voile épais, un petit sac à la main, l’Impératrice quitta ses appartemens, suivie de Metternich, Nigra, Jurien de la Gravière, en bourgeois depuis le matin, afin de pouvoir avec plus de sécurité accompagner l’infortunée partout où il y aurait lieu. Conti, le lieutenant de vaisseau Conneau en uniforme, Mme Lebreton suivent. On était déjà en marche lorsque Conti s’approcha de Jurien et lui dit à voix basse : « Croyez-vous vraiment qu’elle doive partir ? » Jurien répondit par un geste d’évidence. La partie du palais à traverser, l’aile gauche des Tuileries, était en plein bouleversement, parce qu’on y préparait les logemens du prince impérial. On avança avec quelque peine à travers des couloirs encombrés. On parvint enfin à la grande salle neuve destinée à devenir la salle des Etats. La porte qui la mettait en communication avec les galeries du Louvre était fermée, et celui qui devait l’ouvrir absent. Grand dommage ! Si elle eût été ouverte, l’Impératrice gagnait le quai avant que la foule en eût cerné les issues et partait dans la voiture de l’ambassadeur.

L’Impératrice indique un autre passage : on s’y engage. Après avoir erré encore dans les couloirs, on trouve encore portes closes, et on finit par aboutir au perron du prince impérial (bâtiment nouveau), dans la cour du Carrousel. L’Impératrice s’arrête dans le vestibule ; elle envoie Conneau sur le quai voir s’il peut ramener la voiture de Metternich. Conneau revient, annonçant que la foule se précipite sur les grilles du guichet. Jurien y court pour les défendre. Un peloton de chasseurs à pied se range derrière lui, frémissant du désir de repousser les assaillans. L’amiral avait beau crier à travers la grille : « L’Impératrice a quitté les Tuileries ; cessez des violences inutiles ! » Nul ne l’écoutait. Une collision paraissait inévitable. « La troupe, a dit Jurien, aurait certainement repoussé la