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Le départ résolu, comment allait-il s’opérer ? Jérôme David proposa de faire préparer un train spécial avec lequel on gagnerait un point quelconque de la frontière. L’Impératrice refusa : « Je ne veux pas, dit-elle, recommencer l’histoire de Varennes. » Jurien de la Gravière parla du Puebla, petit navire impérial de la flottille de la Seine. « Y pensez-vous ? répond l’Impératrice, il y a des écluses à traverser, nous serions cueillis comme une violette. » À ce moment, Mme Lebreton, lectrice de l’Impératrice, qui avait la tête et le cœur de son frère, Bourbaki, arrive en costume de voyage. Après avoir causé un instant avec Metternich, elle prend l’Impératrice à part, lui explique qu’elle a demandé qu’on ouvrît les portes en fer qui séparaient les Tuileries du Louvre, que par-là on gagnerait le quai où l’on trouverait la voiture du prince de Metternich. Metternich confirme. « Nous nous chargeons de la sûreté de l’Impératrice, dit-il à Jurien, mais vous pouvez nous accompagner jusqu’à ma voiture. » On congédia le service, afin de partir plus sûrement.

L’Impératrice dit adieu à ses ministres, puis elle entre dans le salon d’attente, et, sans dire qu’elle part elle-même, dit à tous : « Partez ! » Elle embrasse ses dames, serre la main des hommes. En arrivant à Léon Chevreau, elle lui demande si tout ce qu’il a raconté est bien vrai, s’il a bien vu, bien entendu, s’il est exact qu’un tel, qu’un tel (à quoi bon les nommer ? ) avaient signé la proposition de Thiers ? « On n’a donc plus d’amis en France quand on est malheureux ! s’écria-t-elle. — Madame, répondit Léon Chevreau en fléchissant le genou, partout où vous irez, mon frère et moi nous vous suivrons. » On fondait en larmes. Elle, jetant des regards désolés sur ces murs remplis des souvenirs de ses jours brillans, semblait clouée au parquet. Metternich et Nigra la réveillèrent : « Vite, Madame ! dirent-ils, il n’est que temps. » Et ils l’entraînèrent en répétant : « Nous répondons d’elle. — Mais où l’emmenez-vous ? s’écrie-t-on. — Metternich vous le dira, » répondit-elle. Puis, se retournant une dernière fois vers ses serviteurs fidèles : « Je vous remercie ! au revoir ! »

La porte du cabinet se referme. Presque aussitôt après, le général Mellinet entrait dans le salon de service. « Je viens, dit-il, demander à l’Impératrice la permission de faire balayer tous ces braillards-là. » On lui apprend que l’Impératrice quitte le palais. « Nous ne pouvons cependant pas nous laisser égorger