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aléatoire, on est revenu depuis quelque temps aux ministères qui meurent jeunes. Quand M. Viviani tombera, on trouvera, parmi les débris de son Cabinet, un homme comme M. Augagneur, partisan résolu du service de deux ans, qui n’aura d’autre idée que d’entrer dans le Cabinet suivant, qui y entrera peut-être et n’aura pas alors de préoccupation plus vive que d’y faire prévaloir un système dont il a seulement ajourné la réalisation. Nous avons déjà demandé pourquoi Mi Viviani a mis M. Augagneur au nombre de ses collègues. Des concessions, des capitulations de ce genre jettent le désarroi dans les esprits ; elles sont pour le pays une école de scepticisme ou, pour mieux dire, d’immoralité politique. La conséquence de cette faute initiale n’a pas tardé à se produire : la Chambre a élu, pour toute la durée de la législature, une Commission de l’armée où les partisans et les adversaires de la loi de trois ans sont dans un si parfait équilibre, 22 voix d’un côté et 22 de l’autre, qu’il n’y a pas de majorité du tout : les votes de la Commission tiendront à la présence ou à l’absence fortuit d’un seul de ses membres. Et ce sera, pour le moins, un gros embarras.

M. Viviani n’est pas allé aussi loin dans la composition de son ministère ; il y a donné la majorité aux partisans des trois ans ; mais qui ne voit qu’en donnant une minorité aux autres, il a encouragé la Chambre à faire ce qu’elle a fait à son tour ? Il est naturel et même désirable que, dans une commission dont le rôle est de délibérer, toutes les opinions soient représentées comme à la Chambre elle-même ; mais dans un ministère, c’est autre chose, car le rôle des ministères est d’agir, ils sont l’organe du pouvoir exécutif, et il n’y a pas d’action énergique, ni d’exécution nette et rapide sans une parfaite unité. C’est donc un détestable exemple que M. Viviani a donné à la Chambre : elle ne l’a que trop suivi, elle l’a dépassé. Il y a quelque chose de paradoxal et d’absurde dans le fait d’une Assemblée qui, un jour, donne au gouvernement une majorité écrasante en faveur du service de trois ans et qui, le lendemain, nomme une Commission où il n’y a de majorité ni pour ni contre. Il y en a eu une cependant lorsque la Commission a élu son président : son choix s’est porté sur le général Pedoya, partisan du service réduit. Le phénomène de cette Commission, qui émane de la Chambre et la représente si mal, tient au mode de scrutin qu’on a employé pour la former. Ce sont là des chinoiseries, des manœuvres, des intrigues qui échappent au public et peut-être vaut-il mieux qu’elles lui échappent, car elles n’ont rien d’édifiant. On a voulu procéder par la représentation proportionnelle,