Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/480

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

démonstrations militaires faites avec un remarquable à-propos et, pour sortir de cette sage conduite, il faudrait que la Roumanie y eût un intérêt important. Où est son intérêt dans le cas actuel ? On ne le distingue pas très bien : on voit seulement que, si elle s’engageait dans l’affaire albanaise, elle courrait gros risque d’entrer dans un engrenage qui la conduirait loin. Lui a-t-on fait vraiment la proposition dont les journaux ont parlé et a-t-elle eu besoin de s’y refuser ? Nous ne doutons pas, en tout cas, qu’elle ne l’ait fait, si l’occasion lui en a été donnée. L’affaire albanaise est un guêpier où personne n’a envie de se jeter. Elle était, dès l’origine, hérissée de difficultés : les maladresses commises depuis les ont encore augmentées. On ne voit pas comment le prince Guillaume pourra se maintenir sur un trône aussi chancelant. S’il s’était montré davantage au début, et si, une fois l’insurrection déclarée, il s’était mis à la tête de ses troupes et avait paru sur les lieux du combat, peut-être la fortune, qu’il aurait un peu violentée, lui serait-elle devenue favorable. Mais il n’a rien fait de tout cela ; il a attendu que la fortune vînt d’elle-même lui offrir ses faveurs, et elle n’est pas venue. Ce n’est que dans la fable que la fortune va bénévolement à l’homme qui l’attend dans son lit. N’ayant pas été améliorée par l’habileté des hommes, par leur esprit d’entreprise, par leur courage, l’affaire albanaise est restée ce qu’elle était, radicalement mauvaise. Si le prince de Wied peut encore être sauvé, nous en serons heureux pour lui : mais peut-il l’être ? Incontestablement, ses sujets, ou du moins les plus nombreux et les plus forts d’entre eux, ne veulent pas de lui. Les Malissores et les Mirdites, battus et découragés, l’abandonnent. Il ne pourrait recevoir un secours utile que du dehors. L’Autriche le lui fournirait volontiers, si elle était sûre de pouvoir agir seule, mais c’est ce que l’Italie ne tolérerait pas ; elle voudrait agir à son tour, après avoir bien choisi les points où elle interviendrait, et le tout finirait par une brouille entre les deux alliés. L’Autriche sait par expérience comment les brouilles de ce genre peuvent finir.

La situation apparaît donc inextricable et le plus sage serait sans doute de renoncer résolument à la politique dont elle est la conséquence logique ; mais c’est peut-être beaucoup demander. Il faudrait pour cela que les Puissances, ou du moins quelques-unes d’entre elles, les plus intéressées dans l’affaire, avouassent qu’elles se sont trompées et cherchassent d’autres combinaisons. Il faudrait mettre fin à une première période et en ouvrir une seconde, qui en serait très différente. Le fera-t-on ? C’est à Vienne que la question se pose, parce que c’est