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flâneries d’autrefois ! — j’en suis venu à penser que la critique pourrait n’être en réalité qu’un prétexte, ou, plus exactement, un terrain d’action, sur lequel chacun déploie des aptitudes spéciales et servant à des fins d’un ordre spécial ! Celui-ci y fait fonction de peintre, celui-là de conteur, pour ne rien dire de ceux qui y font simplement fonction de bavards. Et quant à moi, voyez-vous ma fonction particulière, dans la critique, aura été d’être un historien doublé d’un moraliste ! » Ce qu’entendant, je songeais intérieurement que sa véritable fonction, par-dessus tout cela, avait toujours été d’être l’un des plus originaux entre les « artistes » de notre temps : mais c’est ce que je me serais bien gardé de lui dire, sachant assez le peu de prix qu’il attribuait à ce côté personnel de son œuvre en comparaison de la grave « mission » sociale qu’il avait conscience de remplir.

Un historien, tout d’abord : et je me demande avec stupeur à quelle conception de l’objet et des procédés de l’histoire a bien pu « s’habituer » le critique allemand pour contester, à ce point de vue, l’éminente valeur d’ouvrages tels que le Manuel ou que les huit volumes des Études critiques sur l’Histoire de la Littérature française. Je ne parle pas seulement de la « documentation » prodigieuse sur laquelle se fondent ces inoubliables récits qu’il plaît à M. Curtius d’appeler dédaigneusement des « discours, » — encore que, sur ce chapitre-là aussi, les « élèves ou amis » de Brunetière eussent eu de quoi le renseigner avec quelque avantage. Je ne veux pas m’attarder à signaler l’énormité du paradoxe, — ou de l’erreur, — consistant à soutenir que « l’appareil des constructions spéculatives a pour effet d’ « écourter, » chez Brunetière, « les enchaînemens historiques, la peinture des courans intellectuels, l’indication des origines et des influences, l’étude de la figure individuelle. » Ce sont là autant de choses que personne, en vérité, n’était plus à même d’ « étendre, » de répandre dans ses récits suivant la mesure qu’il jugeait convenable ; et qu’après cela, il ait toujours eu un sens très délicat de cette « mesure, » et n’ait pas insisté sur les « courans intellectuels » et les « enchaînemens historiques, » lorsque les circonstances ne s’y prêtaient point, voilà de quoi ses lecteurs français, du moins, lui sauront toujours gré ! Mais pour nous en tenir à la « méthode » de l’historien, comment M. Curtius n’a-t-il pas aperçu tout ce que l’auteur du Manuel nous a enseigné, sous ce rapport, d’infiniment nouveau, tout ensemble, et de précieux ?

J’ai eu moi-même l’occasion, par exemple, de constater récemment, une fois de plus, l’importance féconde des leçons de Brunetière sur deux points particuliers de la méthode historique. Ainsi que nous le