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Pietri ; l’infanterie et les autres troupes sous le commandement direct de Palikao ; la Garde, sous celui de Mellinet, était chargée de la protection des Tuileries et de l’Impératrice. Trochu ne pouvait mettre au service de l’assemblée que sa personne : « Vous voulez que seul j’arrête un demi-million d’hommes qui, dites-vous, se presse vers la Chambre ? Il y a la une impossibilité absolue : un homme seul n’arrête pas les foules en démence ; mais cet effort que vous me demandez et qui ne peut aboutir, je le tenterai néanmoins. » (2 heures.)

Il charge son chef d’état-major Schmitz de se rendre auprès de l’Impératrice et de l’informer de ce qu’il allait essayer. Suivi de trois officiers, il descend le perron pour monter à cheval. La foule, engouffrée dans la cour, l’acclame « avec une frénésie dont on n’avait jamais vu d’exemple[1]. » Il fit signe de la main, obtint le silence. — « Vous avez confiance en moi ? dit-il. — Oui, nous vous suivrons partout. Vive Trochu ! — Eh bien ! puisque vous avez confiance en moi, dans quelques jours, je vous conduirai aux remparts ; nous aurons à repousser l’ennemi ; pour cela, il faut de la modération et de l’entente, calmez cette agitation ; rentrez chez vous et réservez votre énergie pour le moment où vous serez en face des Prussiens. » Puis il se met en route par le guichet de la rue de Rivoli. Il a les plus grandes peines à traverser la place du Carrousel ; les chevaux enveloppés se cabrent, au point de perdre l’équilibre ; enserré sous le guichet des Saints-Pères, entre un double flot d’entrans et de sortans, il ne réussit à gagner le quai qu’en se séparant de ses officiers. Il longe les grilles closes des Tuileries, derrière lesquelles des soldats stationnent près de leurs armes en faisceaux. A mesure qu’il poursuit sa route, la multitude s’amoncelle devant lui et autour de lui. Il met près d’une heure à parvenir au pont de Solférino. Là il est comme figé dans la foule et dans l’impossibilité d’avancer ou de rétrograder. Il y rencontre, poussés par le flot, Jules Favre et ses compagnons (3 h. 15). Jules Favre lui serre la main, lui annonce qu’il n’y a plus de Corps législatif, ni de gouvernement ; que lui et ses amis vont à l’Hôtel de Ville essayer d’en constituer un ; il le prie de rentrer au Louvre ; il l’y instruira de ce qui se sera passé[2]. Le général demeure un moment immobile, répond

  1. Général Lebreton.
  2. Rapport, p. 40.