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le culte de l’idéal, et ce culte n’est pas un fanatisme, mais bien, au sens le plus pur et le plus bienfaisant du mot, une religion.

Cette œuvre, d’une si belle tenue littéraire, appelle certaines réserves. Ma critique essentielle concerne cette horreur physiologique qui plane sur tout le drame. Donnat a inoculé le cancer à Antoinette, puis il s’est inoculé le cancer à lui-même, et Louise, en signe d’amour, lui demande qu’il lui inocule le cancer. Je persiste à croire que ce relent de chambre opératoire, cette pourriture d’hôpital, dont notre imagination est sans cesse occupée, ne convient pas au théâtre. C’est une erreur de prétendre que tous les sujets soient du ressort de la scène. Les questions d’amour, d’intérêt, d’ambition lui appartiennent : n’est-ce pas assez ? L’étalage de la maladie et de la mort y est déplacé et pénible. Un autre reproche, c’est qu’ici la dissertation déborde trop souvent l’action. Nul plus que moi ne goûte l’exposé ou plutôt le choc des idées au théâtre. Mais les personnages de M. de Curel semblent trop souvent oublier qu’ils sont mêlés à une action théâtrale pour se livrer à des discussions théoriques, comme ils pourraient le faire dans un laboratoire. Ils sont, un peu partout mais surtout au second acte, sujets à des tirades d’une longueur excessive et qui ne sont pas toutes nécessaires ni même justifiées. Ils ont du mouvement dans les idées, sans éviter toujours la confusion. Ils pensent, mais on ne sait pas toujours ce qu’ils pensent. La langue qu’ils parlent, forte, brillante, imagée, n’est nullement celle de la conversation, mais bien plutôt celle du livre. Les belles métaphores, les comparaisons prolongées y abondent, non sans faire parfois songer à des morceaux de facture. Ils sont éloquens et parfois aussi grandiloquens. Ils ont d’heureuses trouvailles de mots, mais il leur arrive de ne pas éviter l’amphigouri. Et il est de toute évidence que beaucoup de ces critiques tombent, si on considère la Nouvelle Idole moins comme une pièce de théâtre, au sens strict du mot, que comme une série de dialogues philosophiques rattachés à une action, comme un « drame philosophique » à la manière dont Renan l’entendait.

La Nouvelle Idole est très bien jouée. Mme Bartet par sa grâce supérieure, par son art des nuances, par sa science de composition, a fait merveille dans le rôle difficile de Louise Donnat. J’ai déjà dit le succès de Mlle Bovy, dans celui de la petite religieuse. Le rôle de Donnat, qui avait été créé par M. Antoine, a pour nouvel interprète M. de Féraudy qui, lui non plus, n’est pas très lyrique et semble un peu étonné d’avoir à comparer le savant avec un nénuphar. On peut concevoir