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science, ce sont les conclusions d’une expérience bien faite. Comme ils l’accusent d’orgueil, les profanes, c’est-à-dire à peu près tout le monde, traitent Donnat d’ambitieux. Ils commettent à son égard le sophisme connu : parce que ses découvertes lui ont valu de la gloire, ils en concluent qu’il a fait ces découvertes pour obtenir cette gloire. Son mobile est bien plus noble, mais aussi plus simple, moins réfléchi, spontané et irrésistible. La passion qui l’anime est le désir de savoir. Cette curiosité fait partie de la définition du savant. Elle est professionnelle, comme aussi bien le dévouement dont ce maître du savoir a donné tant de preuves, en payant de sa personne dans les épidémies. Ce dévouement n’indique pas du tout chez Donnat une disposition de la sensibilité, une pitié, une bonté, une ardeur de sacrifice provenant de la nature de l’homme. Non : l’homme n’est pas ici en cause, mais seulement le médecin. Donnat a contracté la diphtérie en soignant une femme du peuple, et ne s’est pas cru pour cela un héros. Une fois pour toutes, il a fait bon marché de sa vie : pour lui aussi, ce sont les risques du métier.

Mais c’est le danger, pour ceux qui sont prodigues de leur sang, de ne pas toujours être assez économes du sang des autres. Donnat est un de ces casse-cou de la science. « S’il est permis à un général de faire massacrer des régimens entiers pour l’honneur de la patrie, c’est un préjugé de contester à un grand savant le droit de sacrifier quelques existences pour une découverte sublime, comme celle du vaccin de la rage ou de la diphtérie. Pourquoi ne pas admettre d’autres champs de bataille que ceux où l’on meurt pour le caprice d’un prince ou pour l’extension d’un pays ? Pourquoi n’y aurait-il pas de glorieux carnages d’où sortiraient vaincus les fléaux qui dépeuplent le monde ? » Il l’admet en effet, et, quoique l’homicide dont il vient de se rendre coupable lui prouve que son raisonnement doit pécher par quelque côté, il ne se rétracte pas. Il s’entête. Il continue d’affirmer son droit, du moins théoriquement. Il n’est pas seulement le croyant, il est le fanatique. « Pourquoi la science, qui sauve tant de gens, ne verrait-elle pas, privilège d’idole, les gens se faire écraser sous les roues de son char ? » Ainsi l’auteur a voulu nous montrer jusqu’où peut aller cette forme moderne du fanatisme : l’idolâtrie scientifique. Et il l’a personnifiée en un exemplaire d’élite, type de haute intelligence, de labeur désintéressé, de courage et d’abnégation.

A côté de ce « monstre » et pour nous faire mieux saisir ce qu’il y a en lui d’exceptionnel, il a placé des êtres d’humanité moyenne, d’humeur et de taille normales. Sa femme d’abord. Elle ne l’aime pas.