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grande espérance traversait le monde. L’humanité, toujours chimérique, entrevoyait d’immenses perspectives. Enchantée de la nouvelle révélation, elle en oubliait l’ancienne. Elle bannissait, au nom de la science, tout ce qui ne présentait pas le caractère scientifique. Elle attendait, de la science elle seule, une morale, une politique, une organisation sociale. Elle opposait la science à la religion, et, par une inconséquence dont elle est coutumière, elle faisait de la science une religion. Vainement de bons esprits essayaient-ils de montrer que cette conception de la science est ce qu’on peut imaginer de moins scientifique, et que Pasteur l’eût détestée. Brunetière, pour avoir parlé, ici même, non pas de là banqueroute, mais des « faillites partielles » de la science, au sens spécial où il prenait l’expression, fut traité de sacrilège… Aujourd’hui, nous sommes revenus à une appréciation plus saine et l’atmosphère de la discussion est moins orageuse. Nous admirons de toutes nos forces la science, ses progrès, ses applications : dans ces quinze ans, ne lui avons-nous pas dû la conquête de l’air et les bienfaisantes merveilles de la télégraphie sans fil ? Mais il est permis de dire qu’en dehors de son domaine, la science est impuissante et que nous n’attendons pas d’elle ce qu’aussi bien elle ne nous a jamais promis : la règle de notre vie. Ou plutôt, nous avons exorcisé ce fantôme : la Science. Nous lui avons substitué cette réalité : les sciences, dont chacune a son genre de certitude et vaut pour l’objet qui lui est propre. Ainsi le milieu intellectuel où fut conçu la Nouvelle Idole, le moment dont elle porte la date, est déjà du passé : l’état d’esprit d’où son titre lui est venu est de l’histoire.

C’est en 1899 que la Nouvelle Idole fut représentée pour la première fois. Mais la scène se passe à Paris en 1895, l’année où parut l’article retentissant de Brunetière. Le savant, mis en scène, ne pouvait manquer d’être un médecin. La médecine n’est pas seulement une science : elle est surtout un art ; mais à cause de cela, peut-être, l’assurance, le dogmatisme, la foi à l’infaillibilité y sont-ils plus choquans qu’ailleurs. En outre, nous tous tant que nous sommes, nous avons peu affaire au mathématicien, au géomètre, au physicien ; il n’est personne qui, à quelque moment que ce soit, n’ait tourné vers le médecin des yeux chargés d’imploration, d’espoir, ou d’effroi. Il est sans cesse mêlé à notre vie, et, puisqu’on le rencontre au chevet des mourans, on a peine à croire qu’il n’ait pas, lui aussi, son mot à dire sur le grand problème que résout la religion. C’est surtout à la physiologie qu’on emprunte des argumens pour nier l’existence d’une âme et son immortelle survie. Ajoutez que le médecin des corps hérite