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nous faire prendre pour des qualités, on n’est plus troublé par les appréciations intempestives de ces dangereux amis qui admirent à faux, le jugement s’est rassis, on se laisse aller au plaisir de goûter en toute tranquillité d’esprit ce que l’œuvre contient d’original et de fort, ce qui est sa marque et son principe de vie. C’est ce qui est arrivé pour la Nouvelle Idole. Avec le temps, elle s’est dépouillée. Le public de la Comédie-Française l’a écoutée avec respect, avec émotion. Il avait le sentiment très net que ce spectacle n’est ni de la même qualité, ni de la même essence que ceux dont on le régale trop souvent. Il se savait gré d’en avoir le sentiment si net, et il en concevait pour lui-même une estime qui rejaillissait sur l’auteur.

Le genre de théâtre auquel appartient la Nouvelle Idole diffère tellement de ce qu’on a coutume d’appeler du théâtre, qu’on s’est demandé parfois si, en s’orientant de ce côté, M. de Curel ne s’était pas trompé et s’il n’aurait pas trouvé dans d’autres genres, par exemple dans le roman, un emploi plus logique et mieux adapté de ses dons d’écrivain. Rien de plus faux. On ignore généralement que M. de Curel avait commencé par publier des romans, et qu’ils étaient détestables. C’est alors qu’il écrivit ses premières pièces, sans songer à un théâtre plutôt qu’à un autre, et sans savoir même s’il pourrait jamais les faire représenter. Il les garda quelque temps en manuscrit, se bornant à les faire lire à quelques amis. C’est un des titres les moins contestables qu’ait M. Antoine à la gratitude des lettrés, que d’avoir monté l’Envers d’une Sainte et les Fossiles. Ces ouvrages d’un lyrisme fougueux contrastaient, le plus heureusement du monde, avec les platitudes naturalistes qui composaient le menu ordinaire du Théâtre-Libre. Le tempérament, qui s’y révélait, était, sans aucun doute possible, celui d’un auteur dramatique. Le théâtre est, avant tout, l’art des vigoureux raccourcis. Notre tragédie classique a pour système de choisir une de ces crises qui illuminent soudain les profondeurs de la conscience. L’auteur de la Nouvelle Idole excelle à inventer une de ces situations où se résume toute l’angoisse d’un problème moral. Ce qui est encore essentiel au théâtre, c’est son atmosphère de lutte. Cette lutte n’est pas seulement celle qui met les personnages aux prises avec eux-mêmes ou avec toute sorte d’obstacles, c’est celle de l’auteur avec son public. Il faut qu’il s’empare de ce public qui se dérobe et qu’il le retienne. Le véritable auteur dramatique est comme l’orateur : il jouit intérieurement de senti la résistance de l’auditoire. M. de Curel fait plus : il la provoque, il prend visiblement plaisir à rudoyer les gens, à les heurter de front, à leur faire violence. Il dédaigne les succès faciles.