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développant sa capacité personnelle et sa valeur sociale. L’un vise à l’égalité et à l’uniformité imposées par la loi ; l’autre, à la sélection par l’expérience, à l’éducation de l’individu, et, par la pratique de cette vertu collective : aidez-vous les uns les autres, à l’exercice de cette vertu individuelle : aide-toi toi-même, de cette vertu du self help, selon le mot anglais dont la paternité a été revendiquée par Holyoake.

C’est dans cette voie du self help et de la liberté que G. J. Holyoake, au cours de sa longue carrière, s’efforça toujours de diriger le mouvement coopératif en Angleterre. Jusqu’à la fin, à côté de ceux qui restaient de ses amis, les socialistes chrétiens, il travailla avec une inlassable énergie à développer dans la coopération la préoccupation éthique, le point de vue de l’éducation, le training individuel, a montrer qu’il ne fallait pas chercher seulement dans la coopération un instrument économique, mais encore et davantage une force morale. Jusqu’à la fin, il maintint le principe de l’indépendance de la coopération à l’égard des pouvoirs publics, et protesta énergiquement chaque fois qu’il sentit chez certains coopérateurs le désir de rechercher l’aide de l’Etat, comme il eût protesté si l’Etat ou les municipalités eussent prétendu en Angleterre intervenir, fût-ce par dons ou subventions, dans la marche de la coopération indépendante : « Les vrais coopérateurs, dit-il un jour, croient que c’est le devoir du peuple de soutenir l’Etat, et non le devoir de l’Etat de soutenir le peuple. » Jusqu’à la fin, il se dévoua aux intérêts de la coopération, participa aux congrès annuels, où il restait presque « le seul survivant des temps héroïques, » suivit les assises de la coopération à l’étranger, en France, en Italie, à Milan où on le « vénéra comme un maître. » En 1902, il présidait l’inauguration d’un monument élevé à Robert Owen, et, deux ans après, fidèle à son tempérament d’agitateur comme à ses préjugés antireligieux, il était au nombre des passive resisters qui refusaient le paiement de la taxe ecclésiastique ; en 1905 encore, il publiait deux volumes de souvenirs sous le titre de Bygones. Il mourut l’année suivante, à l’âge de quatre-vingt-huit ans, après avoir vu, dans son étrange vie, d’étranges choses, fait quelque mal et quelque bien, et mérité, par de longs services rendus à une cause intéressante, le nom qui lui fut alors décerné de « grand vieillard » de la coopération anglaise.


L. PAUL-DUBOIS.