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s’appropriera tous les moyens de production et jusqu’au sol lui-même, elle absorbera les forces capitalistes et créera de toutes pièces un régime économique complet, un tout se suffisant à lui-même dans la société transformée : la « coopération intégrale, » voilà la solution définitive de la question sociale. »

Les Anglais ne se sont pas laissé prendre à de pareilles utopies. Ceux d’entre eux qui ont le plus magnifié les espérances de la coopération, — ce sont les socialistes, — ont eu soin de marquer qu’ils savaient les limites d’un mouvement dont ils ne laissaient d’ailleurs pas d’attendre de grandes choses. Ils ont montré que la coopération ne peut espérer une clientèle dans la vraie richesse non plus que dans la vraie misère, qu’elle verra forcément lui échapper bien des grandes industries telles que transports, commerce extérieur, monopoles naturels ou artificiels, et que « sa fonction se réduit en fait à la distribution d’un certain nombre d’articles d’usage personnel dont la production n’est pas nécessairement un monopole, dont la consommation n’est pas absolument obligatoire et qui sont l’objet d’une demande considérable et constante. » D’où il résulterait, selon nos socialistes anglo-saxons, que la coopération ne serait qu’un pas vers le socialisme et qu’il faudrait toujours en arriver à la révolution sociale : corollaire sur lequel nos lecteurs feront d’eux-mêmes les plus expresses réserves.

Ce qui est certain, et ce que les enthousiastes de la coopération oublient trop souvent, c’est qu’à côté de ses succès, la coopération a dû enregistrer, en Angleterre même, bien des échecs. La Wholesale de Manchester elle-même, si puissante soit-elle, n’a guère à se louer du résultat de ses opérations agricoles. Voici qui est plus symptomatique : des 600 sociétés qui s’étaient fondées en Angleterre jusqu’en 1862, il ne reste aujourd’hui que 285 ; les autres ont disparu, comme auraient disparu des commerçans malheureux, pour faire place à d’autres. Et c’est la même chose sur le continent. « En France, écrit M. Gide, la liste serait longue, si on pouvait la dresser, des sociétés défuntes : plus longue même, il ne faut pas se faire illusion, que celle des sociétés actuellement vivantes… Comptez vos morts ! »

Pourquoi tant d’échecs ? C’est que nos théoriciens utopistes oublient ou négligent ce qui est l’élément essentiel du commerce et de l’industrie, des affaires en général, je veux dire le risque, qu’il vienne des modalités de la gestion, de la situation, des