Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/44

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déclarons que Louis Napoléon Bonaparte et sa famille ont à jamais cessé de régner sur la France. » (Explosion de bravos, salve générale d’applaudissemens.) « Et la République ! s’écrient quelques voix. Nous voulons deux choses : la déchéance et la République. »

Jules Favre, entré par la porte de la salle des Conférences, pénètre dans l’enceinte. Gambetta va au-devant de lui, et tous deux, fendant la foule des gardes nationaux et du peuple, qui s’effacent pour les laisser passer, montent à la tribune au milieu des cris : « Vive Jules Favre ! vive Gambetta ! » Enfin, dans une intermittence, Jules Favre s’écrie : « Voulez-vous ou ne voulez-vous pas la guerre civile ? (Non ! non ! ) Il faut que nous constituions immédiatement un gouvernement provisoire. Ce gouvernement prendra en main les destinées de la France ; il combattra résolument l’étranger ; il sera avec vous et, d’avance, chacun de ses membres jure de se faire tuer jusqu’au dernier. Je vous en conjure, pas de journée sanglante. Soyons tous unis dans une pensée de patriotisme et de démocratie. »

A chaque phrase l’auditoire criait : « Oui ! oui ! « mais, à chacun de ses oui, ajoutait : Vive la République ! — « La République, riposte Jules Favre, ce n’est pas ici que nous devons la proclamer. — Oui, ajoute Gambetta, oui, vive la République ! Citoyens, allons la proclamer à l’Hôtel de Ville. » Ils descendent de la tribune et répètent : « A l’Hôtel de Ville ! à l’Hôtel de Ville ! » Une portion de la foule les suit ; quelques citoyens entraînent le reste en élevant en l’air de grandes feuilles de papier prises dans les pupitres sur lesquelles ils ont écrit en gros caractères : « A l’Hôtel de Ville ! » Cependant des groupes nombreux, persuadés que le gouvernement de l’Hôtel de Ville reviendra au Corps législatif, s’installent pour l’attendre, le cigare ou la pipe à la bouche.

Les députés de la Gauche n’avaient pas tous suivi Jules Favre. Grévy s’y était refusé. « J’aurais voulu, dit-il, voir arriver la République d’une manière légale et non par la Révolution[1]. » Jules Simon hésite aussi. « Vous faites une dangereuse folie en allant à l’Hôtel de Ville, » dit-il à Montpayroux, et il se mit à se promener avec Grévy dans la salle des conférences. Au bout d’une demi-heure, pressé par des messagers de l’Hôtel de

  1. Déposition.