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privilégiés, ce qui est d’un fâcheux exemple de la part de la plus importante société coopérative qui soit au monde et de celle qui occupe le personnel le plus considérable (plus de 18 000 ouvriers).

Découragés d’une lutte inégale, Holyoake et les socialistes chrétiens résolurent, en 1886, de constituer une association spéciale de propagande, la Labour Copartnership Association, dans le dessein de développer la participation aux bénéfices dans l’industrie et de provoquer la fondation d’usines ou de fabriques coopératives où les ouvriers auraient part à la fois aux bénéfices et à la direction. Ainsi, Ludlow, Hughes, Neale, les anciens socialistes chrétiens, en revenaient à cette forme de la coopération dont ils avaient au milieu du siècle commencé par se faire les pionniers, la coopération de production. « Nous avons moralisé la distribution, il faut moraliser la production, » disait Neale au congrès de 1888. Il n’est que juste d’observer que la propagande de la nouvelle société n’a pas été inutile, quant au premier de ses objets, la participation aux bénéfices dans l’industrie ; un certain nombre de sociétés manufacturières auxquelles elle fit adopter la participation, virent leurs bénéfices s’accroître d’une manière remarquable. Quant à la coopération de production, elle n’a pas rencontré dans ces dernières années plus de succès qu’un demi-siècle auparavant ; ses établissemens restent isolés et peu actifs ; pas plus qu’en France, elle n’a réussi en Angleterre. Combattue par les socialistes et les Trades Unions comme anti-démocratique, elle est mal soutenue par la coopération de consommation qui tend à l’absorber plutôt qu’à l’aider : il est fréquent de voir de petites associations ouvrières de production rachetées par quelque grande société de consommation ; et, par ailleurs, les sociétés de consommation, au lieu de s’approvisionner auprès des sociétés de production, s’adressent plus volontiers à leurs sociétés de gros, aux Wholesales, institutions très puissantes dont la concurrence écrase les coopératives ouvrières. De plus en plus, les Anglais ont fait, de la coopération de consommation, la base de l’organisation, et n’admettent la production coopérative que comme l’étape finale, le couronnement de la consommation coopérative. N’est-ce pas une raison de plus pour regretter que la coopération anglaise de consommation n’ait pas fait, ou n’ait fait que de si mauvaise grâce, une place à cette participation ouvrière aux bénéfices que prônaient Holyoake et les socialistes chrétiens ?