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c’est l’échec de l’idéal oweniste de la fraternité ouvrière. »

A quoi les idéalistes répliquaient : « C’est nous qui seuls sommes fidèles à la loi de la coopération, qui implique l’union des travailleurs, fidèles au principe oweniste de la responsabilité de l’employeur à l’égard de l’employé, fidèles à la charité chrétienne, qui veut qu’on traite l’ouvrier non en machine, mais en personne. Sous couleur de socialisme, vous ne voyez que le profit à réaliser, vous n’êtes que des faiseurs de bénéfices, des « chasseurs de dividendes, » en qui revit l’esprit capitaliste. La coopération doit donner l’exemple à l’industrie libre, montrer la voie aux améliorations sociales. Vous ne voulez voir dans la coopération qu’un régime économique ; nous y voyons, nous, un idéal social, un instrument de progrès ; sa valeur éthique nous importe plus que tout le reste. »

La lutte entre les représentans des deux thèses s’est poursuivie depuis cinquante ans au sein des coopératives anglaises. Holyoake, appuyé par les socialistes chrétiens, ne cessa de poursuivre une vigoureuse propagande en faveur de la thèse idéaliste dans ses journaux, ses brochures, ses conférences. Malheureusement, à mesure que la coopération grandissait, que les coopérateurs se multipliaient, la petite phalange restée fidèle à l’esprit de Rochdale se trouvait peu à peu débordée, l’élite se voyait submergée sous la marée montante des indifférens, des égoïstes, des « chasseurs de dividendes. » Depuis 1873, elle réussit presque toujours à faire approuver par les congrès annuels, après des débats plus ou moins orageux, le principe de la participation des salariés au « surplus ; » mais, en pratique, après comme avant ces solennelles déclarations, les réfractaires, restés sur leurs positions, opposaient, aux revendications des idéalistes, l’inertie d’une résistance passive. De fait, nombreuses sont les sociétés coopératives qui n’ont jamais appliqué à leurs salariés la participation aux bénéfices, ou qui, l’ayant appliquée pendant un temps, y ont renoncé ; il n’y a guère actuellement en Grande-Bretagne qu’une société sur six ou sept qui pratique cette participation, et un salarié de coopérative sur quatre qui en profite. La Wholesale d’Ecosse donne à ses employés une participation égale au chiffre du dividende à la consommation, ce qui représente environ 4 pour 100 des salaires ; en revanche, la Wholesale anglaise (Manchester) n’a jamais accordé la participation à son personnel, se refusant, dit-elle, à créer une classe d’ouvriers