Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/436

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donc venues les traverses, les épreuves, dont toute institution comme toute existence humaine a sa part en ce monde ? Elles sont nées, elles ont grandi dans son sein même, du fait de l’opposition naturelle entre deux tendances, deux écoles, dont la rivalité se découvre, je crois bien, au fond de toutes les questions sociales. Ses premiers fondateurs, les vieux tisserands de Rochdale, et avec eux leur inspirateur et leur guide, G. J. Holyoake, comme aussi plus tard les socialistes chrétiens, étaient des idéalistes, des enthousiastes, qu’animait non pas tant l’appât d’un intérêt matériel, qu’une préoccupation plus haute : la foi dans un idéal, l’ambition d’élever l’ouvrier, de le rendre indépendant et fort, de l’améliorer moralement en même temps que matériellement. Mais peu à peu, dans les rangs des coopérateurs, avait pénétré, à côté des vieux pionniers, une armée de nouveaux venus, plus positifs, plus pressés d’arriver au bénéfice tangible, imbus d’un esprit plus mercantile et qui ne voyaient plus dans la coopération un idéal, mais une affaire. Entre ceux-ci et ceux-là, la lutte était inévitable, elle dure encore. Elle s’est précisée particulièrement sur ce point : une société coopérative réalisant des profits nets annuels, — je devrais dire des bonis ou trop-perçus, — que fera-t-on de ces profits ? Les répartira-t-on en entier, une fois payés les frais généraux et l’intérêt du capital, entre les consommateurs sociétaires ? N’en réservera-t-on pas une partie à l’intention de certains services d’utilité générale, instruction, assistance ?… Et ne faudra-t-il pas, d’autre part, faire participer à la répartition, à côté des consommateurs, les employés et ouvriers de la société ?

Dès l’origine, les tisserands de Rochdale avaient inscrit dans leurs statuts un article décidant que, sur les surplus annuels, une subvention de 2 pour 100 serait affectée à des œuvres d’instruction ou d’éducation. A partir de 1849, un comité spécial s’occupa de l’exécution de cette règle ; on créa une bibliothèque, une salle de lecture, puis une école primaire (on sait combien l’instruction publique était encore négligée à cette époque en Angleterre), enfin des cours d’adultes. L’élan était donné, l’exemple fut suivi dans la plupart des sociétés, non sans résistance de la part des coopérateurs de la deuxième heure qui trouvaient que ces largesses réduisaient abusivement leurs « dividendes » de consommation, et qui s’écriaient, comme certain coopérateur de Leeds : « Nous n’avons pas besoin d’éducation, donnez-nous des